
Histoire du S. Sacrement de Miracle. Reposant a Bruxelles, en l'Eglise collegiale de S. Goudele, & des miracles faictz par iceluy
Contenu
En 1605, Etienne Ydens († 1615), chanoine de la collégiale Sainte-Gudule à Bruxelles – l’actuelle cathédrale des Saints-Michel-et-Gudule –, publie chez l’imprimeur Rutger Velpius († 1614/1615) une Histoire du Saint Sacrement de Miracle dans laquelle il relate la légende de la profanation d’hosties par des Juifs brabançons et de leur punition durant le dernier tiers du XIVe siècle.
Selon cette fable, à la fin de l’année 1369, un certain Jonathas d’Enghien décide de dérober des hosties pour se venger du sort réservé à la communauté israélite. Pour commettre son forfait, il soudoie un Juif récemment converti, du nom de Jean de Louvain, qui se rend à l’église Sainte-Catherine de Molenbeek Saint-Jean où il fracture le tabernacle pour y soustraire 16 hosties. Peu de temps après, ce Jonathas est assassiné dans son jardin. Sa veuve, accompagnée de son fils Abraham, quitte alors Enghien pour Bruxelles où elle remet les hosties volées à ses coreligionnaires. Ces derniers attendent le Vendredi saint de l’année suivante pour se venger. Réunis dans leur synagogue, ils transpercent les hosties à l’aide d’une dague. Du sang miraculeux jaillit directement des saintes espèces. De peur d’être confondus par la justice, les profanateurs corrompent une juive convertie au christianisme depuis peu, Catherine, et lui donnent pour mission de cacher les hosties à Cologne. Prise de remords, elle se confie au curé de l’église de Notre-Dame-de-la-Chapelle à Bruxelles. Les hosties sont ensuite remises à la garde du prêtre avant d’être transportées en procession à la collégiale de Sainte-Gudule. Entretemps, les Juifs sacrilèges ont été arrêtés, jugés puis condamnés à mourir sur le bûcher. Les autres représentants de la communauté judaïque du Brabant ont été expulsés du duché et leurs biens confisqués.
Les seuls faits historiquement avérés dans cette légende sont l’arrestation d’un groupe de Juifs à Bruxelles dans le courant de l’année 1370, la confiscation de leurs biens et leur exécution sur ordre du duc de Brabant. La profanation n’a pas été prouvée. Elle n’a d’ailleurs servi qu’à légitimer le prétendu miracle eucharistique. Ce genre d’accusation se rencontre en effet régulièrement au Moyen Âge tardif. De telles manifestations miraculeuses avaient pour but de proclamer le dogme de la transsubstantiation – ou présence réelle du Christ dans le Saint sacrement – professé à l’occasion du Concile de Latran IV en 1215.
Le culte au Saint Sacrement de Miracle a connu un large succès à Bruxelles jusqu’au XIXe siècle. Le miracle des hosties sanglantes a d’ailleurs été fortement instrumentalisé par les autorités centrales d’Ancien Régime dans leur action contre les protestants. La profanation des hosties par les Juifs a alors été considérée comme une préfiguration des torts causés par les réformés qui reniaient le dogme de la transsubstantiation. La publication de l’Histoire du Saint Sacrement de Miracle du chanoine Ydens intervient précisément dans cette « littérature de combat » née dans le mouvement de la Contre-Réforme, littérature tout particulièrement encouragée dans les Pays-Bas méridionaux sous le règne des archiducs Albert (1559-1621) et Isabelle (1566-1633). Dans sa lettre dédicatoire adressée à Isabelle d’Autriche, Etienne Ydens précise ainsi qu’il a pris l’initiative d’écrire son livre non seulement pour fournir une version française aux pélerins qui ne pratiquaient ni le latin ni le néerlandais, mais aussi « afin de tant plus confondre les Hereticques de nostre temps, lesquels […] ont desgorgez par leurs bouches infectez et puantes, mille execrables balsphemes contre le S. Sacrement de miracle, & semez parmy le peuple beaucoup de mensonges & calomnies, mesmes jusques a avoir nié impudemment par leurs escrits la verité de ceste histoire » (p. *4r-v).
L’Histoire du Saint Sacrement de Miracle est agrémentée de 18 gravures attribuées à Adriaen Collaert (ca 1565/1566 - 1618), membre d’une illustre famille de graveurs anversois. Ces vignettes retracent les moments-clés de la légende : Jonathas offrant une somme d’argent à Jean de Louvain, le vol des hosties par ce dernier, le meurtre de Jonathas, la remise des hosties par sa veuve à des membres de la communauté israélite de Bruxelles, la profanation des hosties, les Juifs ordonnant à Catherine de cacher les hosties à Cologne, l’apparition d’un ange à Catherine, la remise du ciboire par Catherine au clergé, l’arrestation des Juifs, leur exécution ainsi que la procession vers Sainte-Gudule. La dernière gravure représente le diable tentant d’éteindre la lanterne de sainte Gudule, qui vient illustrer la Vie de la sainte placée en fin de volume. Notons aussi que cet ouvrage contient la plus ancienne représentation du reliquaire des saintes hosties, dont l’origine remonte au XIVe siècle.
Cet ouvrage a été publié avec un tirage de 850 exemplaires. Son financement a été assumé par le chanoine Ydens pour une valeur totale de 500 florins, 300 pour le livre et 200 pour les 18 gravures, dont 70 florins payés par le chapitre de Sainte-Gudule. À la fin de l'année 1607, l’auteur a reçu, de la part des archiducs, une gratification de 400 livres en remerciement de ses travaux.
L’ouvrage d’Etienne Ydens a connu trois rééditions au cours du XVIIe siècle, dont la dernière en 1670 à l’occasion de la célébration du troisième jubilé de la profanation des hosties. Le chanoine a également produit une traduction néerlandaise de son texte, imprimée en 1608, toujours au sein de l’officine de Rutger Velpius (Namur, Bibliothèque du Centre de Documentation et de Recherches religieuses, Rés. 14.G.2; en dépôt à la Bibliothèque Universitaire Moretus Plantin). Il faudra attendre l’année 1720 pour voir paraître une nouvelle histoire du Saint Sacrement de Miracle, signée de la plume d’un autre chanoine de Sainte-Gudule, Pierre de Cafmeyer († 1741).
Renaud Adam
Bibliothèque royale de Belgique - Réserve précieuse
Octobre 2012
Pour en savoir plus
- C. Matagne, Répertoire des ouvrages du XVIIe siècle conservés à la bibliothèque du CDRR (1601-1650), Namur, Y-1, p. 484.
- L. Duerloo, Archducal Piety and Habsburg Power, dans W. Thomas, L. Duerloo (éds), Albert & Isabella 1598-1621, cat. exp., Bruxelles - Turnhout, 1998, p. 267-283.
- L. Dequeker, Het Sacrament van Mirakel. Jodenhaat in de Middeleeuwen, Louvain, 2000.
- Id., Le Sacrement de Miracle. Notice historique, dans A. vanYperseel de Strihou, Le trésor de la cathédrale des Saints Michel et Gudule à Bruxelles, Bruxelles, 2000, p. 13-19.
- M. Leesberg, K. L. Bowen (éds), The New Hollstein. Dutch & Flemish Etchings, Engravings and Woodcuts 1450-1700, t. 7 : The Collaert Dynasty, Ouderkerk aan den IJssel, 2006, n° 1819-1836.
- A. Delfosse, La « Protrectrice du Païs-Bas ». Stratégies politiques et figures de la Vierge dans les Pays-Bas espagnols, Turnouht, 2009, p. 112-115.