Carrés de couleur

Description des principaux parcs et jardins de l’Europe avec des remarques sur le jardinage et les plantations, ouvrage enrichi d’estampes. Volume 3

Contenu

Charles-Joseph (Bruxelles, 1735-Vienne, 1814), 7ème prince de Ligne et d’Empire, prince d’Amblise et d’Épinoy, pair, sénéchal et maréchal de Hainaut, feld-maréchal en 1808, demeure le plus célèbre écrivain des Pays-Bas autrichiens. Il est tout à la fois romancier, auteur de théâtre, moraliste, mémorialiste, épistolier, théoricien et bibliographe militaire, écrivant d’une plume alerte, cosmopolite, élégante et spirituelle. Ses œuvres sont éditées séparément, puis de 1795 à 1811 en trente-quatre volumes par les Frères Walther à Dresde sous le titre de Mélanges militaires, littéraires et sentimentaires, de même que sous la forme d’anthologies.

Charles-Joseph de Ligne publie le Coup d’œil sur Belœil en 1781 « à Belœil, de l’imprimerie du prince de Ligne », en réalité à Bruxelles, sur sa presse privée installée dans l’hôtel de Ligne et actionnée par l’imprimeur Adrien-François Pion. Une deuxième édition paraît en 1786 à Bruxelles chez François Haÿez, gendre de Pion, sous le titre Coup d’œil sur Belœil et sur une grande partie des jardins de l’Europe. Le texte est remanié et étendu à d’autres parcs. Le Coup d’œil est réédité en 1795 dans les tomes VIII et IX des Mélanges militaires, littéraires et sentimentaires.

Il en existe une édition fragmentaire et bilingue dans trois volumes publiés « en Allemagne » de 1808 à 1812 sous le titre de Description des principaux parcs et jardins de l’Europe. Fragmentaire, car elle reprend de très larges extraits du Coup d’œil sur Belœil et sur une grande partie des jardins de l’Europe. Les emprunts étant conséquents, l’édition est précédée d’une dédicace au prince de Ligne, d’autant qu’il habite Vienne à l’époque, au Kahlenberg. Bilingue, car le texte est publié sur deux colonnes, en français et en allemand. Sous l’adresse bibliographique « en Allemagne » se dissimule la maison d’édition Schrämbl fondée en 1787 à Vienne par Franz Anton Schrämbl (1751-1803). Lui succèdent sa veuve, Johanna Schindelmayer, et au décès de celle-ci, en 1825, leur fils Eduard. Ce n’est pas le seul ouvrage contenant des textes de Ligne à être publié par les Schrämbl. En 1818, ils éditeront une anthologie composée par Madame de Staël, Lettres & Pensées du Prince de Ligne.

Cette Description des principaux parcs et jardins de l’Europe paraît en livraisons et les titres, gravés sur cuivre, sont fournis à la fin de la publication de chaque volume. Il en existe une autre édition produite par les Schrämbl, datée de 1812. C’est en fait la même que celle de 1808-1812, mais la date sur les cuivres des tomes I et II a été modifiée afin d’uniformiser les livraisons et d’écouler ce qui en restait. C’est cet état que possède la Bibliothèque universitaire Moretus Plantin. Les trois volumes livrent des descriptions de jardins renommés et des textes sur la composition des parcs et l’utilisation des espèces botaniques.

L’édition contient septante-six planches en couleurs, hors texte, la première placée en frontispice du tome I. Elles sont signées Carl Robert Schindelmayer (1769-1839), frère de Johanna Schrämbl, qui aide sa sœur à diriger la maison d’édition. Ces illustrations représentent des fabriques, folies et perspectives des jardins concernés, des plans parfois, ainsi que des plantes. Le lecteur découvre ainsi châteaux et demeures, temple de la Lune, de Pomone, pavillon du Soleil, construction gothique, pagode, pavillon de bains, minaret, « maison de caprice », « château de cavalerie », étang des Cygnes ou pont du Diable. Elles consacrent le goût du jardin anglo-chinois, irrégulier, parsemé de petits bâtiments et utilisant avec bonheur les effets de perspective et de pittoresque. Il s’agit là d’une conception déjà « romantique » des jardins : le terme est d’ailleurs utilisé pour la légende de la planche 13 du tome II, dans la liste des planches.

Le tome I s’ouvre sur les jardins de Stowe en Angleterre, Buckinghamshire, aménagés successivement par Charles Bridgeman (1690-1738), William Kent (1685-1748) et Lancelot Brown, dit « Capability Brown » (1716-1783) à la demande des membres des familles Temple et Grenville. Ce parc a largement influencé la conception des jardins, tant en Angleterre que sur le continent aux XVIIIe et XIXe siècles. Les jardins de Neuwaldegg à Vienne sont aménagés par le feld-maréchal Maurice de Lacy (1725-1801), qui y fait construire son mausolée ; en 1812, ils appartiennent au prince de Schwarzenberg. Les jardins et l’arboretum de Hohenheim près de Stuttgart ont été créés par le duc Charles-Eugène de Wurtemberg (1728-1793). On y découvre aussi une description du parc de Schoonenberg ou Beaumont à Laeken, entourant la résidence construite par l’archiduchesse Marie-Christine (1742-1798) et le duc Albert de Saxe-Teschen (1738-1822), gouverneurs généraux des Pays-Bas autrichiens ; ils incluent une pagode chinoise construite par l’architecte Louis Montoyer (1749-1811) d’après les plans de Charles De Wailly (1730-1798), inspirée de celle de Kew, œuvre de William Chambers (1723-1796). Parmi d’autres jardins évoqués dans ce premier volume, ceux du comte de Rasumofsky (1752-1836) à Vienne, aménagés par Louis Montoyer, ceux de Moccas Court en Angleterre (Herefordshire), conçus par Capability Brown en 1778 puis par Humphry Repton (1752-1818) dans les années 1790, et ceux du château de Söder appartenant à Frédéric Maurice de Brabeck (1742-1814), près d’Hildelsheim.

Le volume II met en exergue les célèbres jardins de Wörlitz en Saxe, créés par Friedrich Wilhelm von Erdmannsdorff (1736-1800) à la demande du prince Léopold III Frédéric François d’Anhalt Dessau (1740-1817), qui dans les années 1760 avait visité Stowe et d’autres domaines en Angleterre. Ils s’organisent autour d’allées et de sentiers, de perspectives, de plans d’eau, de canaux formés par l’Elbe, et ils sont ponctués de nombreuses fabriques, dont un volcan artificiel. Ces jardins ont servi de modèle sur le continent. Le vaste parc entourant le palais baroque de Blenheim, résidence des ducs de Marlborough, est entièrement réaménagé par Capability Brown pour le 4e duc, dans le goût anglais, incluant la gigantesque colonne de la Victoire, de plus de 40 mètres, érigée en 1727-1730 en l’honneur du 1er duc et de ses victoires militaires sur le continent. Ce volume évoque aussi Schönau, à Günselsdorf en Basse-Autriche, appartenant à Peter Friedrich von Braun (1758-1819), les jardins du Reisenberg près de Vienne aménagés par le comte Philippe de Cobenzl (1741-1810), Marino House près de Dublin, entouré de jardins conçus pour James Caulfeild, 1er comte de  Charlemont (1728-1799), par William Chambers, également l’auteur du célèbre Casino néo-classique construit dans le parc.

Le troisième volume décrit le parc de Weissenstein, aménagé pour le landgrave Guillaume IX de Hesse-Cassel (1743-1821) ; il est à l’époque rebaptisé Napoléonshöhe car il est la résidence de Jérôme Bonaparte, roi de Westphalie. Eisgrub en Moravie du Sud (Lednice en Tchéquie) appartient aux princes de Liechtenstein et inclut un minaret et un château en ruine. Laxenburg en Basse-Autriche est l’une des résidences d’été de la maison d’Autriche ; les jardins ont été réaménagés dans les années 1780 dans le goût anglais. Et puis Versailles au temps de Le Nôtre. Le parc de Belœil, enfin, aménagé par Jean-Michel Chevotet (1698-1772) et Jean-Baptiste Bergé (1696-1756) pour le prince Claude-Lamoral II de Ligne, puis par François-Joseph Bélanger (1745-1818) pour le prince Charles-Joseph, désireux d’y ajouter un jardin anglais. En font partie l’île de Flore, nommée ainsi en l’honneur de sa fille (1775-1849), et l’obélisque érigé à la mémoire de son fils aîné, le prince Charles-Antoine (1759-1792).

Cette description de Belœil est entièrement de la main de Charles-Joseph de Ligne : c’est pratiquement l’intégralité du Coup d’œil sur Belœil d’après ses œuvres complètes. On fait aussi appel à lui pour de longues citations relatives aux jardins de Hohenheim et de Wörlitz. Et Ligne de devenir ainsi une référence obligée en matière de jardins. Ce ne sont pas les seuls emprunts. D’autres auteurs ont été mis à contribution : les Descriptions pittoresques de jardins du goût le plus moderne de Christian-Ludwig Stieglitz, l’Art de former les jardins modernes ou l’Art des jardins anglois de Thomas Whately, les œuvres de William Chambers, de Christian Cay Lorenz Hirschfeld, de Georges-Louis Le Rouge sur les jardins anglo-chinois, l’Essai sur la taille des arbres fruitiers de Pelletier de Frepillon et les œuvres de sylviculture de Duhamel du Monceau. D’autres encore. Et cette agréable anthologie comporte très probablement des descriptions de première main, en particulier pour les jardins viennois. Une lecture critique s’impose, toutefois. Cette compilation comporte nécessairement quelques inexactitudes lorsqu’elle reparaît à la date de 1812 : Philippe de Cobenzl est décédé, le baron de Brabeck a été créé comte depuis près de dix ans, tandis que la planche représentant l’Escorial devient le château d’Aranjuez dans la liste des planches.

Les trois volumes évoquent d’autres parcs et domaines encore. Des chapitres sont en outre réservés aux arbres et arbustes, que l’on associe en fonction de leur taille et de leur feuillage, selon les saisons et les nuances de leur écorce, afin de créer bosquets et perspectives, massifs et groupes de plantes, séparés par des pelouses et des plantes à fleurs. Eaux, rivières, canaux, cascades, étangs, ponts et grottes font l’objet d’autres chapitres. L’ensemble ne constitue pas vraiment un guide de voyage, en raison de son format matériel, in-folio. Il s’agit plutôt d’une vaste anthologie de textes et d’images sur l’art des jardins, proposant autant leur histoire que des modèles, ainsi qu’une réflexion sur le goût. Celui-ci évolue subtilement en transformant les jardins classiques en parcs romantiques à l’anglaise, dans lesquels se mêlent les constructions antiques, turques, chinoises ou gothiques, entourant souvent des demeures du plus pur style néo-classique, voire pompéien. Ce recueil est aussi un agréable témoignage de l’anglomanie ayant submergé l’Europe par le biais de l’architecture paysagère.

L’ensemble est habillé de sobres cartonnages de papier marbré rose à veines bleues et noires, strictement d’époque, portant aux dos des étiquettes de titre imprimées. L’exemplaire porte des cachets « Bib[liotheca] casteli  Bateloviensis. » (Batelov, en Moravie ?) et « AOS ». Ce livre manquait aux collections de l’Université de Namur. Il est entré à la Bibliothèque universitaire Moretus Plantin en 2014 par acte de mécénat à l’occasion de la création du « Fonds Eric Speeckaert pour l’étude des œuvres du Prince Charles-Joseph de Ligne », au sein de la Fondation Roi Baudouin.

 

Claude Sorgeloos
Bibliothèque royale de Belgique
Septembre 2014

 

Pour en savoir plus

- F. Haÿez, J. Vercruysse, « L’imprimerie privée des princes de Ligne au XVIIIe siècle », Nouvelles Annales Prince de Ligne, 2, 1987, p. 9-75.

- C. Sorgeloos, « Contribution à la bibliographie du prince de Ligne: une édition bilingue du Coup d’Œil sur Belœil en 1812 », in : Nouvelles Annales Prince de Ligne, VII, 1992, p. 127-150.

- U. Kohlmaier, Der Verlag Franz Anton Schrämbl, Dissertation zur Erlangung des Doktorgrades der Philosophie eingereicht an der Geisteswissenschaftlichen Fakultät der Universität Wien, 2001, p. 98, 143 n° 103, 151 n° 131, 152 n° 138, 165 n° 208 et passim.

- Ch.-J. de Ligne, Coup d’œil sur Belœil : écrits sur les jardins et l’urbanisme, établissement du texte, introduction et notes par Jeroom Vercruysse et Basil Guy, avec le concours de Marianne Delvaulx et Pierre Mouriau de Meulenacker, Paris, 2004 (L’âge des Lumières, 25).

- J. Frimmel, Buchwesen in Wien 1750-1850 : kommentiertes Verzeichnis der Buchdrucker, Buchhändler und Verleger, Wiesbaden, 2008, p. 175-176 (Buchforschung: Beiträge zum Buchwesen in Österreich, 4).

- J. Vercruysse, Bibliographie descriptive des écrits du prince de Ligne, Paris, 2008, p. 104 (Histoire du livre et des bibliothèques, 10).

- B. Liesen, Charles-Joseph prince de Ligne : catalogue, Bruxelles, 2010, n° 37.

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