Carrés de couleur

Essais de psychologie cellulaire

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Il est particulièrement intéressant de consulter les publications scientifiques anciennes pour ce qu’elles nous révèlent des modes de fonctionnement de production du savoir dans un contexte donné. Elles nous permettent de découvrir les connaissances et les compétences époustouflantes des scientifiques de l’époque tout en découvrant a posteriori comment l’ignorance de connaissances aujourd’hui évidentes a biaisé leur démarche d’analyse et d’interprétation de leurs objets d’étude.

La publication en deux parties d’Haeckel, intitulée « Psychologie cellulaire » et dont il est ici question, se veut très ancrée sur l’actualité du savoir de son temps. Plus particulièrement, on constate en suivant les réflexions de l’auteur qu’il est parfaitement en accord avec le contexte puissant et novateur de l’adoption globale de la théorie cellulaire de Schleiden et Schwann et qu’il souhaite l’étendre aux phénomènes liés à la réception et au traitement des informations par le système nerveux, aussi simple soit-il, pour élaborer les réponses d’un organisme qui visent à adapter son comportement aux circonstances de son environnement immédiat. La connaissance au XXIe siècle des mécanismes impliqués dans ces phénomènes ne lui donne certainement pas tort.

L’hypothèse de la périgenèse fait par contre sourire aujourd’hui. Aussi simple soit-elle, puisque Haeckel la qualifie ainsi, elle veut voir dans des phénomènes ondulatoires au sein même des cellules et de leurs composants des principes qui distinguent l’organisme vivant des corps privés de vie. La tentative est totalement respectable, comme celle qui classe au-dessus de toutes les autres espèces de cellules, les cellules intellectuelles du cerveau parce qu’elles sont les cellules de l’âme. C’est de l’âme et de la vie psychique des animaux, de l’homme à l’hydre et même jusqu’aux protistes, dont il est question dans la seconde partie de l’essai. L’auteur y défend ses convictions profondes, mais avec des arguments d’analogies et de comparaisons. Citons, par exemple, la hiérarchie monarchique des cellules animales comparée à l’organisation républicaine des cellules végétales.

On se prend à rêver de réveiller Haeckel aujourd’hui et de lui rendre accessibles les connaissances qui ont bouleversé le contexte cellulaire au cours du XXe siècle. Comment réagirait-il ? Déception ou extase ? La question a le mérite de nous insuffler une énorme modestie. Qu’avons-nous pensé solutionner aujourd’hui comme question scientifique qui trouvera une toute autre explication demain, bien plus solide que nos hypothèses actuelles, et ouvrant des yeux tellement différents des nôtres ? Mais bien sûr le mérite de la science est là : poser les bonnes questions avec les connaissances de l’instant demeure plus important que la réponse qui y sera finalement donnée.


Yves Poumay

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