Carrés de couleur

[Oeuvre gravé de Charles de Ligne] : [recueil de 13 eaux-fortes]

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Charles-Antoine de Ligne (1759-1792) est le fils aîné et héritier de Charles-Joseph, 7e prince de Ligne, et de Marie-Françoise-Xavière de Liechtenstein. En 1779, il épouse la princesse Hélène Massalska (1763-1815). De cette union naquit une fille unique, Sidonie (1786-1828), épouse du comte Franciszek Stanislaw Potocki. C’est à l’occasion de ce mariage que le prince Charles-Joseph, son père, lui offre la seigneurie de Baudour et écrit Colette et Lucas, comédie mêlée d’ariettes, qu’il imprimera sur sa presse privée en 1781 (Namur, Bibliothèque universitaire Moretus Plantin, RLIGNE/097). Charles-Antoine embrasse la carrière militaire, étudie à Strasbourg, devient aide de camp de son père, fait campagne en Europe, jusqu’à atteindre le grade de colonel du génie. Il est fait chevalier de l’ordre militaire de Marie-Thérèse par Joseph II après la prise de Šabac en Serbie en 1788, et commandeur de l’ordre impérial et militaire de Saint-Georges par Catherine II après sa brillante conduite à Belgrade. Le 14 septembre 1792, en Champagne, pendant la campagne de France contre les armées républicaines du général Dumouriez, Charles-Antoine est tué d’un boulet de canon, laissant son père Charles-Joseph inconsolable.

L’héritier de Charles-Joseph de Ligne est amateur d’art et collectionneur. Il forme une importante collection de dessins et de gravures, associée à un cabinet d’histoire naturelle et à un cabinet de physique. La collection d’estampes est formée grâce aux conseils d’Adam Bartsch, garde du Cabinet des Estampes impérial, qui est d’ailleurs accueilli dans les Pays-Bas autrichiens. Après le décès du prince, elle est vendue et dispersée à Vienne en 1793. En 1794, Bartsch publie le catalogue des dessins rassemblés par Charles-Antoine. Cette collection est vendue au duc Albert de Saxe-Teschen, à l’origine de l’Albertina. Charles-Antoine pratique lui-même le dessin ainsi que la gravure à l’eau-forte en amateur, un art appris d’Adam Bartsch, de Sauveur Legros, secrétaire du prince Charles-Joseph, et de l’artiste Antoine Cardon. Il signe sa production au moyen d’un monogramme, ses initiales C et L enlacées, pour Charles de Ligne, mais pas systématiquement. Un de ses biographes, Soubiran, souligne d’ailleurs son talent de copiste de dessins, « son adresse à les copier avec une exactitude qui faisait qu’on n’en distinguait presque point les originaux ». Et de signaler par ailleurs que ses talents de dessinateur furent également mis au service de son père pendant les campagnes militaires menées sous ses ordres.

Le recueil conservé à Namur contient quelques exemples de son œuvre gravé. En premier lieu, dans l’ordre de l’album, la suite complète des six pièces formant le Recueil de six païsages, premier essai d’un amateur, dont certaines feuilles sont datées de 1786, soit les numéros 1, 4, 5, 6, 2 et 3 du catalogue de l’œuvre gravé dressé par Xavier Duquenne. Elles présentent des paysages dessinés par Ligne, composés de bâtiments divers, de fermes, de ruines, de moulins à vent, de ponts, souvent disposés au bord de cours d’eau et animés de personnages, de quelques animaux parfois. Un septième paysage présente des ruines envahies de végétation et un abreuvoir dans lequel boivent deux chevaux (Duquenne 35). Charles-Antoine de Ligne grave aussi les dessins de tiers. Un huitième paysage (Duquenne 9) représente une ferme à tour carrée au bord d’un cours d’eau, peut-être l’Elbe, un char à foin tiré par des chevaux, une ville à l’arrière-plan, d’après le dessin attribué à C. Brand à Theresienstadt. La neuvième eau-forte, datée de 1790, représente un village ; elle est gravée d’après un tableau du peintre Flamen (Duquenne 31). Il s’agit en effet d’un autre registre pratiqué par Charles-Antoine de Ligne, qui reproduit des tableaux ou dessins de sa riche collection, en général avec plus de talent que ses œuvres propres. La dixième feuille, datée de 1790, montre un village de part et d’autre d’un cours d’eau, quelques femmes assises à l’avant-plan (Duquenne 33). La onzième feuille a pour sujet une femme lisant à la lueur d’une bougie (Duquenne 34), sans monogramme ni légende. La douzième offre un sujet mythologique, sans légende ni monogramme, sans doute la reproduction d’un dessin. La treizième et dernière feuille, deux paysages côtiers placés tête-bêche, n’est pas de Ligne, mais est signée Langendong dit Amourette, qui signe du monogramme FL et qui les dédie à Charles-Antoine de Ligne et à sa sœur Marie-Christine (1757-1830), comtesse puis princesse (1788) de Clary, l’auteur se présentant ainsi comme l’élève du prince et un commensal de la famille. On ne connaît que trois pièces de cet autre graveur amateur, celles reproduites ici, et une composition aux deux amours accompagnés d’un chien, toutes trois rarissimes.

Une des particularités de ces gravures réalisées par le prince Charles-Antoine est la présence d’une dédicace à des membres de sa famille ou de son proche entourage : à son maître en gravure et conseiller en matière de collection et d’art, Adam Bartsch, à sa sœur Marie-Christine, à la comtesse Louise de Starhemberg, née d’Arenberg, ou à son fils âgé de six semaines, Charles-Antoine confondant assez curieusement sa fille Sidonie, née en 1786, avec un fils hypothétique. Le septième paysage est dédié à un de ses amis, surnommé « le balafré », la huitième gravure à son cheval Brillant, à son chien Tristan et à son chevreuil Cabri, la neuvième feuille à un accès de fièvre.

Tirées à quelques exemplaires seulement et distribuées aux membres de l’entourage immédiat de leur auteur, ces gravures d’amateur sont très rares, n’étant pas destinées au commerce. On en conserve des exemplaires au château de Beloeil, au Cabinet des Estampes de la Bibliothèque royale de Belgique, aux Archives de la Ville de Bruxelles, dans quelques collections privées, et depuis peu à l’Université de Namur depuis l’acquisition de cet album en décembre 2014. C’est ce qui explique que la pratique de la gravure chez les amateurs, membres de la noblesse et leurs proches, n’ait pas encore fait l’objet d’une étude détaillée et d’ensemble. Outre les graveurs professionnels, différents amateurs ont pratiqué cet art dans les Pays-Bas autrichiens à la fin du XVIIIe siècle : Sauveur Legros, James Hazard, un Anglais installé à Bruxelles, Joseph Prenninger, Isabelle Malerme, et d’autres encore.

Les gravures sont conservées dans un album de maroquin janséniste rouge, doublé de maroquin bleu, doré, signé Canape et Corriez, formé dans l’entre-deux-guerres. Le recueil porte l’ex-libris du collectionneur Hans ou Jean Fürstenberg (1890-1982), un des plus grands bibliophiles du XXe siècle, membre de l’Association internationale de Bibliophilie (AIB), dont il est l’un des fondateurs et le trésorier. Ce bibliophile collectionnait principalement les livres français des XVIIe et XVIIIe siècles, jusqu’à l’Empire, les dessins et les estampes, les reliures anciennes à grands décors et à provenances remarquables. Il a donné sa collection d’éditions originales allemandes à la Bibliothèque nationale de France. Il est aussi le fondateur du Musée de la reliure au château de Beaumesnil en Haute-Normandie, qu’il avait acquis en 1938. En raison de cet ex-libris, les planches ne portent donc pas sa marque habituelle de collectionneur, une estampille à l’encre, à son chiffre HF dans un cercle.

 

Claude Sorgeloos
Bibliothèque royale de Belgique
Mai 2015

 

Pour en savoir plus

- Xavier Duquenne, « Le prince Charles de Ligne graveur (1759-1792) », In Monte Artium : Journal of the Royal Library of Belgium, 2, 2009, p. 105-130.

- Roland Mortier, « La dernière lettre du prince Charles de Ligne », Nouvelles Annales Prince de Ligne, 11, 1996, p. 209-212.

- Georges Englebert, « La mort du prince Charles-Antoine de Ligne à la Croix-au-Bois en Champagne (14 septembre 1792) », Nouvelles Annales Prince de Ligne, 9 (1995), p. 193-206, et 10 (1996), p. 93-101.

- Andrée Scufflaire, « Charles-Antoine, prince héréditaire de Ligne (1792), et la pairie de Baudour en Hainaut (1779-1794) », Archives et Bibliothèques de Belgique, 66, 1990, p. 485-502 (Miscellanea Roger Petit).

- Alfred von Wurzbach, Niederländisches Künstlerlexikon, 2, Amsterdam, 1910, p. 12.

- Ulrich Thieme, Felix Becker, Allgemeines Lexikon der Bildenden Künstler, 22, Leipzig, 1928, p. 331.

- Jean-François Soubiran, Biographie de feu son altesse le prince Charles de Ligne, colonel du corps de génie aux armées de sa majesté l'empereur et roi, chevalier de la croix militaire de Marie Thérése, commandeur de l'Ordre militaire de saint George de Russie, Dresde : chez George Fréderic Walther, 1807.

- Bernard Breslauer, « Contemporary Collectors. XXV. Jean Fürstenberg », The Book Collector, 9, 1960, p. 423-434.

- Christian Galantaris, « Jean Fürstenberg, banquier et bibliophile », Nouvelle revue des livres anciens, 3, 2010, p. 60-61.

- Frits Lugt, Les Marques de Collections de Dessins & d’Estampes (Fondation Custodia), article « Hans Fürstenberg » :
  http://www.marquesdecollections.fr

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