Un savant brillant

Les cytologistes ont scruté les phénomènes qui s’accomplissent dans les cellules sexuelles. Ils ont tenté de remonter à la source de la vie, à l’être unicellulaire, qui renferme en puissance le développement de tout l’individu, jusqu’à l’œuf.

Hector Lebrun

Recherches sur l'appareil génital femelle de quelques batraciens indigènes
Hector Lebrun

À cette époque, les départements de biologie n’existent pas encore et « ils sont, hélas ! trop nombreux, les professeurs d’université qui se préoccupent uniquement de former des praticiens », regrette celui qui se destine à la recherche en laboratoire. Pour mener sa carrière de chercheur, Hector Lebrun doit en effet décrocher un doctorat de « médecine, chirurgie et accouchements », après avoir successivement réussi une candidature en sciences naturelles et une candidature en médecine, comme le veut la loi de 1857. Après ses deux années à la Faculté des Sciences du Collège Notre-Dame de la Paix à Namur, le jeune diplômé entame donc à l’Université de Louvain une candidature en médecine. Il enchaine ensuite avec le doctorat en médecine.

En 1890, ses premiers travaux passent devant un jury et sont récompensés. Hector décroche une bourse de voyage gouvernementale : 4.000 francs pour aller fréquenter les cours des instituts anatomiques allemands. En 1891, il publie pour la première fois : ses « Recherches sur l’appareil génital femelle de quelques batraciens indigènes » paraissent dans la revue internationale La Cellule. En 1893, Lebrun défend sa troisième et dernière épreuve de docteur en médecine avec satisfaction.

Les années suivantes, Hector Lebrun occupe un poste au sein de l’Institut biologique de l’Université de Louvain où il est l’assistant « très prometteur » de Jean-Baptiste Carnoy. Il y est chargé de la préparation de ses cours, autant que de la formation des étudiants à la microscopie et de la direction de leurs recherches personnelles. Il y poursuit surtout ses études sur les phénomènes de maturation de l’œuf des batraciens, reprenant ainsi la suite des travaux de Jean-Baptiste Carnoy. Ensemble, disciple et maître, qui se vouent une admiration réciproque, publient coup sur coup leurs résultats avec comme ambition de confirmer la vision de Carnoy sur la composition du noyau, face à des détracteurs éminents tel que l’embryologiste allemand Oscar Hertwig. « Notre étude a été longue et très laborieuse : nous nous sommes souvent comparés à deux galériens condamnés à dix ans de travaux forcés… C’est un travail qu’un seul homme ne pourrait entreprendre », écrit Lebrun en 1897, alors que Carnoy rend hommage à son « habileté technique », sa « patience et son courage inlassables » et son « talent d’observation ». C’est finalement seul que Lebrun doit clôturer cette série de six mémoires sur l’ovaire des batraciens, son « vénéré maître » décédant en 1899, et c’est seul également qu’il prolonge ses investigations autour du « globule polaire », cette formation contenant le matériel génétique surnuméraire produite lors de la seconde division de la méiose (processus de double division cellulaire après dédoublement des chromosomes de cellules diploïdes aboutissant à la production des cellules sexuelles haploïdes, dites gamètes).

Entre-temps, de 1896 à 1897, Hector Lebrun a présenté les épreuves, à l’Université de Louvain toujours, du doctorat en sciences naturelles. Il a réussi avec grande distinction ses deux années, devenant ainsi docteur en sciences naturelles et en médecine, comme les plus talentueux savants de ce époque-là.     

Hector Lebrun participe donc, sur le plan théorique, à l’identification des globules polaires et à la compréhension du mécanisme de leur expulsion au cours de la méiose. Il est à l’origine de la découverte d’un matériel biologique voué à la dégénération qui, près de 100 ans plus tard, s’est mis à rendre des services précieux à la médecine, essentiellement dans deux types de situation. Premièrement, les globules polaires sont exploités, depuis les années 1980, dans les cas les plus compliqués de procréation assistée, pour réaliser le diagnostic pré-implantatoire chez un embryon sans avoir besoin de recourir à une biopsie (invasive et risquée) du blastocyste. Autrement dit : l’analyse des globules polaires permet de garantir que l’œuf implanté n’a pas de mutation létale et donc d’accroitre le taux de réussite de la fécondation in vitro. Deuxièmement, les globules polaires sont toujours l’objet de recherches actuelles pour déterminer leur rôle dans la détection d’aneuploïdies (anomalies chromosomiques) et dans le traitement de maladies mitochondriales.

La vésicule germinative et les globules polaires chez les batraciens
Jean-Baptiste Carnoy et Hector Lebrun

Fascicule n° 2

La vésicule germinative et les globules polaires chez les batraciens
Jean-Baptiste Carnoy et Hector Lebrun

Fascicule n° 3

La vésicule germinative et les globules polaires chez les batraciens
Jean-Baptiste Carnoy et Hector Lebrun

Fascicule n° 4

La vésicule germinative et les globules polaires chez les batraciens
Jean-Baptiste Carnoy et Hector Lebrun

Fascicule n° 5

C’est une omission du graveur : seul le nom de Carnoy figure sous les planches qui illustrent le troisième mémoire publié dans la revue La cellule. « C’est un devoir pour moi de déclarer que M. Lebrun s’est donné autant et plus de peine que moi pour la confection des dessins », rectifie alors le maître. Au total, plus de 500 figures des deux globules polaires, à tous les stades de développement et en parfait état de conservation, accompagnent ces travaux ; elles sont dessinées « avec une admirable finesse, supportent même l’examen avec de fortes loupes, reproduisent tout à fait la nature », concède le biologiste allemand Rudolf Fick, par ailleurs plutôt critique à l’égard des deux savants belges. A l’occasion du Prix décennal des sciences zoologiques de 1902, le jury soulignera encore les « qualités de technicien hors ligne » de Lebrun, faisant référence à ces figures.

En 1896, Hector Lebrun publie « L’immunité des maladies microbiennes », un texte à première vue étonnant puisqu’il sort du champ des globules polaires, mais qui témoigne en réalité de l’attention que porte le scientifique, dès l’aube de sa carrière, au croisement des disciplines biologiques et aux préoccupations sanitaires de son temps. Il est né dans un siècle qui, malmené par sept flambées épidémiques de choléra, est marqué par l’émergence de la notion de santé publique, le développement de la théorie hygiéniste, la collectivisation de la lutte contre les maladies et des progrès inouïs dans le domaine de la vaccination. Avant la fin du XVIIIe siècle, « les médecins tuaient autant de gens qu’ils en sauvaient ». Mais en quelques décennies, les théories microbiennes d’Edward Jenner, de Louis Pasteur, de Robert Koch puis de Jules Bordet et de Joseph Denys révolutionnent l’approche médicale et, conjuguées au succès du modèle évolutionniste, transforment le visage de la science. Hector Lebrun ne peut être indifférent ni à cet essor de la bactériologie dans les laboratoires universitaires qu’il fréquente, ni à son impact sur la société au quotidien. Dans son article publié dans la Revue des Questions scientifiques, il dresse un état de l’art depuis les travaux de Louis Pasteur et démontre, par la diversité de ses références, non seulement sa fine connaissance des dernières découvertes scientifiques, mais aussi sa capacité à dépolitiser la recherche. Dans cette époque pourtant coincée entre la guerre franco-allemande de 1870 et la Grande Guerre de 1914, alors que les rivalités nationales s’expriment également dans le domaine scientifique, Hector Lebrun ne craint pas de relever le prestige des écoles allemandes qu’il a côtoyées.

L'immunité dans les maladies microbiennes
Hector Lebrun

Jean-Jacques Letesson au sujet du texte d'Hector Lebrun "L'immunité des maladies microbiennes"

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En 1898, au terme de son deuxième doctorat, Hector Lebrun introduit une requête auprès du ministre de l’Intérieur et de l’Instruction publique, le catholique François Schollaert, pour occuper la table d’étude du gouvernement belge à la station zoologique de Naples. Fondée en 1872 par le professeur allemand Anton Dohrn, cette station a pour but de faciliter les études biologiques en général, celles relatives aux invertébrés marins en particulier, en proposant un équipement à la pointe, les richesses zoologiques et botaniques inépuisables de la baie de Naples, et des « tables de travail » à la location pour réunir des scientifiques de toutes les nationalités. Recommandé « à la bienveillance du gouvernement » pour la qualité de ses travaux antérieurs par Charles Van Bambeke, notre biologiste est choisi face à un candidat bruxellois. Il séjourne quatre mois à Naples, poursuivant ses études relatives à la fécondation et la maturation de l’œuf et étendant ses observations des batraciens aux sélaciens.

J’aurais pu me borner à ces recherches, fabriquer au plus vite un petit mémoire où j’aurais consigné mes observations chez les sélaciens, qui diffèrent complètement de celles de mes devanciers, et revenir en Belgique après un séjour à Naples d’un mois au plus. C’est ainsi que procèdent, malheureusement, la plupart des jeunes gens qui viennent à la station pour la première fois. […] J’ai cru de beaucoup préférable de profiter du temps précieux dont je disposais pour me familiariser avec la faune si riche de la méditerranée et étudier les formes embryologiques si nombreuses du Plankton [sic].

Hector Lebrun

Son objectif est aussi d’étendre ses recherches aux vers parasites des poissons marins, notamment Ascaris clavata. Lebrun revient en Belgique avec un précieux matériel de travail, quantité d’animaux marins enfermés dans des bocaux, et conclut : « L’on peut affirmer, sans crainte d’être démenti, que tous ceux qui sont passés par l’établissement de Naples en ont rapporté le meilleur souvenir et le plus grand profit. »

À son retour, Hector Lebrun entre au Musée royal d’histoire naturelle de Bruxelles comme aide-naturaliste. Cette nouvelle fonction, suivie plus tard encore de celle de professeur à l’Université de Gand, ne l’empêche pas de poursuivre ses études en cytologie et de s’intéresser aux progrès de sa discipline jusqu’à ce qu’il devienne, à 93 ans, un « vieillard ».

Correspondance entre Paul Debaisieux et Hector Lebrun

Ses recherches font « honneur au pays », selon le Jury du prix décennal des sciences zoologiques de 1902. Et si, cette année-là, Hector Lebrun manque le prix qui alla à Charles Van Bambeke, le jury relève sa contribution efficace à l’œuvre de Jean-Baptiste Carnoy, laquelle est reconnue comme « monument national ». Quelques années plus tard, en 1909, Frans Alfons Janssens, le biologiste louvaniste à l’origine de la découverte majeure du crossing over, avec Thomas Hunt Morgan, fait référence à Lebrun dans son cours de cytologie. Hector Lebrun fut indéniablement reconnu par ses pairs.

Résumé du cours de cytologie de Frans Alfons Janssens, année académique 1909/1910