L'expérimentation
Si Hector Lebrun étudie l’appareil génital des batraciens, c’est que cette espèce présente l’avantage de produire des œufs proportionnellement énormes et facilement conservables qui permettent de suivre le processus de la méiose en dépit d’un arsenal microscopique encore peu performant. Ces eucaryotes sont en outre des organismes modèles pertinents : les phénomènes biologiques particuliers étudiés sur les batraciens sont extrapolables aux autres organismes, notamment humains. Et puis, les grenouilles, les crapauds, les tritons et les salamandres colonisent les étangs et constituent dès lors un réservoir inépuisable pour le chercheur qu’aucune législation sur le bien-être animal ne cadre encore. Dans ses articles scientifiques, Hector Lebrun raconte ainsi la façon dont il « chasse » la nuit, à la lueur d’une lanterne, dans les étangs de Louvain, de Namur, de Liège et de Bruxelles, des batraciens qu’il « sacrifie » ensuite dans son laboratoire. Les mois d’été, il séjourne dans des auberges en Ardenne et se promène avec sa trousse d’instruments pour opérer directement sur place. « Il nous est arrivé de tuer ainsi plus de cinq cents sujets en 48 heures. » Il parle de « tuerie aveugle » ou d’« hécatombe » pour qualifier ces dissections qui n’avaient encore des visées que très descriptives. À l’époque d’Hector Lebrun, l’anatomie comparée domine les investigations scientifiques : l’idée est encore de comprendre le fonctionnement des corps vivants, à la façon d’un André Vésale, cet anatomiste belge du XVIe siècle qui s’est illustré par ses dissections humaines et ses découvertes relatives aux systèmes veineux, artériel et nerveux. Bien que deux médecins français, François Magendie et son élève, Claude Bernard, aient posé les bases de l’expérimentation moderne dès la moitié du XIXe siècle, les explorations de Lebrun ont encore comme objectif de comprendre les mécanismes du vivant plus que de tester et de guérir. Il s’inscrit dans la logique utilitariste des premiers expérimentateurs, qui conçoivent l’animal comme « une machine vivante » sur laquelle l’homme a des droits « d’une manière entière et absolue ».