Un alumnus de l'UNamur
Où [les enfants] auraient-ils donc appris à s’intéresser aux sciences ? Ce n’est certes pas au collège ni à l’école !
Hector Lebrun
Hector Dieudonné Ghislain Lebrun nait le 11 septembre 1866 à Longchamps, une section de la commune d’Éghezée dans la province de Namur. Un 11 septembre. À cette époque, la première pierre de la première tour du World Trade Center n’était pas encore posée. En 1866 en fait, il n’y a pas même d’avion. La Belgique, on la traverse en train ; l’Amérique, on la gagne en bateau. Si on en a les moyens.
Hector est l’aîné d’une fratrie de trois enfants. Son père, Norbert Lebrun, est cultivateur. Originaire de Ligny, il a épousé Victoire Leclercq en 1865, une fermière de Longchamps, et a relancé avec elle l’activité agricole familiale, avec suffisamment (peu) de succès pour envoyer un de leur fils, le premier-né, sur les bancs de l’école.
La scolarité d'Hector Lebrun
À l’heure où 27% des enfants de 7 à 14 ans et 90 % des plus de 14 ans ne fréquentent pas du tout la classe, coincés à la maison ou dans les champs pour leur force de travail, Hector Lebrun est donc scolarisé au collège Notre-Dame de la Paix à Namur.
Il entame ses gréco-latines comme élève externe en 1877 et termine sa rhétorique en 1884, engrangeant, au cours de ces sept années, des « accessits » (des distinctions) dans presque toutes les disciplines. Ces récompenses, nombreuses mais n’égalant jamais le premier prix, n’en font pas un élève exceptionnel. Loin s’en faut : en cinquième latine (actuelle deuxième secondaire), ses notes sont accompagnées du commentaire : « L’application d’Hector a été presque nulle durant les deux premiers mois. »
Son absence des annuaires du Collège, durant l’année académique suivante (1879-1880), après une année sans palmarès et avant son inscription en quatrième, laisse même planer l’ombre d’un redoublement dans une autre institution. Le caractère farouche et vigoureux d’Hector Lebrun apparait par ailleurs dans son éviction de la Congrégation mariale du Collège, une communauté de vie chrétienne initiée par la Compagnie de Jésus et invitant les étudiants à s’engager à une vie spirituelle plus profonde. Il est un des seuls élèves à être rapidement « congédiés », sans autre précision.
Au Collège Notre-Dame de la Paix, Hector Lebrun suit une formation classique qui ne compte pas ou peu de sciences. C’est tout juste si, dans son année de poésie (la 5e secondaire dans le système actuel), un cours de cosmographie intègre le programme. Il est fort probable qu’Hector ait pu, dans les premiers, toucher aux instruments du tout nouvel Observatoire du père Victor Van Tricht inauguré lors de l’année académique 1883-1884.
Malgré tout, quatre décennies plus tard, il pose un regard sévère sur ces années de collège. Regrettant les insuffisances de l’enseignement des sciences naturelles dans les écoles secondaires de ces années 1870-1880, il évoque des maîtres qui « ne savent pas leur métier », des manuels inadéquats qui sont récités, des élèves coupés de la nature qui doivent ingurgiter la dénomination latine de tous les objets d’histoire naturelle, sans jamais faire l’expérience de l’observation et de la comparaison.
Le professeur attachait une grande importance à ces dessins et à ces images. Je confesse que cela ne m’a servi de rien. On tournait une image, un tableau, l’un après l’autre, et les spectateurs ne savaient jamais en réalité ce qu’ils voyaient. (…) Et tous nous étions, après un an, gros Jean comme devant. Et moi qui avais un grand désir de devenir naturaliste, je ne savais pas encore de qui je devais apprendre quelque chose.
Après ses humanités, Hector Lebrun entame une candidature en sciences au sein de la Faculté des sciences, toujours au Collège Notre-Dame de la Paix. La Faculté n’ayant pas encore le droit de diplômer ses étudiants, Hector présente ses examens devant le jury central de Bruxelles l’année qui suit leur préparation au Collège. À nouveau, il ne brille pas par ses résultats à la Faculté (des 8 et des 9 trainent dans son bulletin), mais la formation est exigeante, encadrée par des figures scientifiques bientôt incontournables : le père Guillaume Hahn, son professeur de zoologie, s’est spécialisé dans les questions d’électricité et d’énergie. Son amitié avec Jean-Baptiste Carnoy et son implication dans la Société scientifique de Bruxelles ont pu façonner les ambitions du jeune Hector, qui marchera dans ses pas. Quant au père Désiré Lucas, son professeur de physique expérimentale, il a succédé au père Van Tricht à la tête de l’Observatoire du Collège. Il y a mené des recherches scientifiques étendues, allant de l’étude de la foudre à la télégraphie ou la radioactivité.
Hector réussit la première épreuve du Jury Central avec distinction en 1886 et la seconde épreuve l’année suivante « d’une manière satisfaisante ». Ce faisant, il réalise une transition rare, quittant son univers ouvrier et rural pour côtoyer les élites scientifiques qui, en cette fin de XIXe siècle, hissent la Belgique au rang des premières nations savantes. La science occupe désormais une place de choix dans cette société en route vers la modernité. Hector Lebrun s’inscrit dans le mouvement : il est de ceux qui veulent faire avancer les connaissances et, surtout, les transmettre.
Les idées d'un vieux pasteur
Dans cet article publié en 1911 dans la Revue des questions scientifiques, Hector Lebrun présente l’œuvre de M.G.E. Fischer, un pasteur et naturaliste allemand, qui publia, en 1800, un essai peu remarqué sur l’enseignement des sciences naturelles. « Il m’a paru intéressant de le faire connaitre en Belgique à un moment où la nécessité de l’enseignement des sciences naturelles est encore mise en doute par une foule de personnes qui ont chez nous la responsabilité de l’enseignement », explique Lebrun, alors professeur d’université. Ce texte est l’un de ceux via lequel il pointe les défauts de l’enseignement scientifique en Belgique et prend position en faveur d’une réforme des programmes scolaires.