
Histoire des contestations sur la diplomatique, avec l'analyse de cet ouvrage composé par le R. P. Dom Jean Mabillon
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La parution, à Paris en 1681, du De re diplomatica libri VI du mauriste Jean Mabillon constitua d’emblée un événement dans le petit monde l’histoire érudite du Grand Siècle. Conçu à l’origine comme une réponse au bollandiste Daniel van Papenbroeck qui, dans les Acta sanctorum, avait affirmé en 1675 la fausseté des diplômes mérovingiens de l’abbaye de Saint-Denis de Paris, l’ouvrage posa les fondements d’une véritable science historique, c’est-à-dire d’une discipline bâtie sur une critique serrée des témoignages du passé. Si, durant une vingtaine d’années, la méthode mabillonienne ne rencontra que des oppositions isolées et sans grande envergure intellectuelle, elle fit face à des réfutations mieux orchestrées à partir de 1703. Celles-ci émanaient avant tout de la Compagnie de Jésus, et plus particulièrement du Père Barthélemy Germon, qui, en 1703, s’en prit à la rigueur scientifique de Mabillon, coupable, selon lui, d’avoir manqué de discernement dans le choix des documents fondant sa méthode. Une vive querelle érudite s’ensuivit alors. Elle se prolongea bien au-delà de la disparition de ses principaux protagonistes, puisque des échos s’en rencontrent encore dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert.
L’Histoire des contestations sur la diplomatique naquit dans ce contexte de débats intellectuels. L’ouvrage parut de manière anonyme en 1708 — à ce jour, son auteur reste d’ailleurs inconnu, les historiens proposant de l’identifier tantôt à un jésuite du nom de Lallemant, tantôt à un mystérieux abbé Raguet. Écrite en français, l’œuvre se propose de présenter au grand public érudit, c’est-à-dire celui qui ne maîtrise pas ou très imparfaitement le latin des savants, la « guerre diplomatique » qui oppose mauristes et jésuites depuis cinq années. Elle se structure sous la forme de huit lettres rendant compte de discussions fictives entre trois individus : un auteur-narrateur, un « conseiller » représentant le point de vue jésuite, et un abbé incarnant les mauristes. Sous une apparence d’objectivité — qui transparaît notamment du titre —, l’œuvre se veut avant tout une défense des thèses du Père Germon face à celles de Mabillon. Le principal mis en accusation n’était cependant plus là pour défendre sa méthode. Mabillon était en effet décédé le 27 décembre de l’année précédant la parution de L’Histoire des contestations. Les attaques ne suffirent toutefois pas à entamer le prestige de l’érudit mauriste sur le long terme. En pleine tourmente d’une Seconde Guerre mondiale qui lui coutât la vie, Marc Bloch — autre immense figure tutélaire de l’histoire médiévale — fit d’ailleurs l’éloge de Mabillon en notant que « [c]ette année-là — 1681, l’année de la publication du De re diplomatica, une grande date en vérité dans l’histoire de l’esprit humain — la critique des documents d’archives fut définitivement fondée. Tel fut bien, d’ailleurs, de toute façon, dans l’histoire de la méthode critique, le moment décisif » (Apologie pour l’histoire, p. 36-37).
Nicolas Ruffini-Ronzani Orientation bibliographique : BERTRAND, Paul, « Du De re diplomatica au Nouveau traité de diplomatique : réception des textes fondamentaux d’une discipline», dans Dom Jean Mabillon, figure majeure de l’Europe des Lettres. Actes des deux colloques du tricentenaire de la mort de dom Mabillon. Abbaye de Solesmes, 18-19 mai 2007. Palais de l’Institut, 7-8 décembre 2008, éd. par Jean LECLANT, André VAUCHEZ et Daniel-Odon HUREL, Paris, 2010, p. 605-619. BLOCH, Marc, Apologie pour l’histoire ou Métier d’historien, Paris, 1949. Histoire des contestations sur la diplomatique, avec l’analyse de cet ouvrage composé par le R.P. Dom Jean Mabillon, Paris, Chez Florentin Delaulne, 1708. GERMON, Barthélemy, De veteribus regum Francorum diplomatibus et arte secernendi antiqua diplomata vera a falsis discepatio, Paris, Chez Jean Anisson, 1703. MABILLON, Jean, De re diplomatica libri VI, Paris, Chez Louis Billaine, 1681. TAURAND, Stéphane, « La querelle de la diplomatique dans les Mémoires de Trévoux (1704-1716) », dans Revue Mabillon, nouv. série, t. 3 [= t. 64], 1992, p. 201-212. VAN PAPENBROECK, Daniel, « Propylaeum antiquarium circa veri ac falsi discrimen in vetustiis membranis », dans Acta sanctorum, Aprilis, t. 2, éd. par Godfried HENSCHEN et Daniel VAN PAPENBROECK, Anvers, Chez Michel Cnobbaert, 1675.