
Rerum naturalium historia, nempe quadrupedum, insectorum, piscium variorumque marinorum corporum fossilium, plantarum exoticarum, ac praesertim testaceorum exsistentium in museo Kircheriano. Pars prima
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Le jésuite allemand Athanase Kircher (1602-1680) est un brillant scientifique, professeur de mathématiques à l’Université de Würzburg, puis de mathématiques, de physique et de langues orientales au Collège Romain des jésuites à Rome, où il est nommé en 1635. Il y crée un important cabinet de curiosités, le Museum Kircherianum, fondé sur l’universalité du savoir et destiné à l’enseignement. Ce cabinet accueille aussi des visiteurs de toute l’Europe et est ainsi l'un des premiers musées publics en Europe. Alimenté par Kircher lui-même, par ses nombreux correspondants, par d’autres collectionneurs ainsi que par les missions des jésuites, le musée comprend des antiquités égyptiennes, grecques, étrusques et romaines, des œuvres d’art, des objets d’histoire naturelle, des automates, machines et instruments de physique, des instruments de musique, un cabinet numismatique ainsi que des objets d’ethnographie ramenés de par le monde grâce aux missionnaires.
Un catalogue des collections est publié en 1678 par Giorgio de Sepi, mécanicien de Kircher, un autre en 1709 par le nouveau conservateur et successeur de Kircher, le jésuite Filippo Buonanni ou Bonanni (1638-1725) : Musæum Kircherianum, sive Musæum a P.A. Kirchero in Collegio Romano Societatis Jesu... descriptum (Namur, Bibliothèque universitaire Moretus Plantin, R18B0089; Namur, Centre de Documentation et de Recherche Religieuses, Rés.1B.5, en dépôt à la Bibliothèque universitaire Moretus Plantin). La partie zoologique de ce catalogue de 1709, sans l’archéologie, est rééditée par le Père Giovanni Antonio Battarra (1714-1789), naturaliste et professeur de philosophie au Séminaire de Rimini, dans un nouvel ordre et réactualisé, l’éditeur souhaitant en faire un traité destiné autant aux cours d’histoire naturelle qu’aux collectionneurs. L’ouvrage paraît à Rome en deux parties, la première en 1773, la seconde en 1782.
La première partie s’ouvre sur un frontispice, relié ici à la fin comme toutes les planches hors texte, une planche aux deux allégories dans un paysage peuplé d’animaux, de végétaux et de minéraux. L’une désigne de son sceptre le portrait du dédicataire, l’archiduc Pierre-Léopold (1747-1792), fils de Marie-Thérèse, grand-duc de Toscane de 1765 à 1790, souverain éclairé et réformateur. Pierre-Léopold quitte Florence en 1790 pour devenir empereur sous le nom de Léopold II. Le titre porte une vignette dont le thème fait écho au frontispice, deux amateurs d’histoire naturelle étudiant des spécimens dans un cabinet.
Le texte de dédicace est suivi d’une introduction du nouvel éditeur scientifique, Battarra, sur l’ordre et la conception de l’ouvrage. Celui-ci a également inséré une biographie d’Athanase Kircher, fondateur du musée, accompagnée d’un catalogue de ses œuvres, et celle de Filippo Bonanni, comprenant la liste de ses travaux. Le corps du livre est constitué des descriptions des spécimens conservés au musée, soit les quadrupèdes, les reptiles et insectes, les fossiles, les poissons et animaux marins, les productions exotiques enfin. Les bandeaux introduisant le texte sont allusifs et renvoient au sujet. Ils mettent généralement en scène les animaux concernés dans le chapitre, y compris un éléphant, un rhinocéros et un crocodile du Nil évoluant dans un paysage italianisant. Des vignettes ovales ou quadrangulaires servent de culs-de-lampe ; elles représentent des animaux dans des paysages ou des nymphes et allégories célébrant la nature. Les descriptions des spécimens sont celles publiées par Bonanni en 1709 ; elles sont toutefois suivies des notes de Battarra, qui actualise l’ensemble en se référant à la systématique de Linné (1707-1778). Un appendix contient quelques textes actualisant certains points d’histoire naturelle, dont des correspondances entre Battarra et Giovanni Maria della Torre (1710-1782), conservateur du Museo Farnese à Naples, et Giovanni Cristofano Amaduzzi (1740-1792), professeur de langue grecque à l’Université La Sapienza à Rome.
Un catalogue de musée lié à l’histoire naturelle ne peut se concevoir sans illustrations. Les planches hors texte sont toutes reliées à la fin, comme le frontispice. On y retrouve pêle-mêle des vêtements amérindiens de la Nouvelle France (tabulae I et II), des fossiles (tab. XXXV, XXXVI), des animaux complets, d’autres accompagnés de détails anatomiques, organes, dents et défenses. Certains sont conservés dans un bocal d’esprit-de-vin, tel ce chien monstrueux à six pattes, héritage des cabinets de curiosités (tab. VIII). Depuis l’invention du microscope, certains animaux familiers, car parasites, ont droit à une planche particulière, tel le pou (tab. XI), une puce et ses œufs (tab. XII), le moustique et sa larve (tab. XVI et XV). Une table des planches figure à la fin de ce volume I, avec renvois au texte. Ces planches sont des copies de celles figurant dans le Musaeum Kircherianum publié par Bonanni en 1709, avec quelques variantes : ici, en 1773, le chien monstrueux a été placé dans un bocal ; l’hippopotame de la planche III adopte une autre posture.
La seconde partie paraît neuf ans après la première et elle est entièrement consacrée aux coquilles. Destiner tout un volume aux mollusques est assez simple à expliquer : les coquilles sont de petite taille et on peut en collectionner beaucoup, au contraire des mammifères, et la vogue des coquilles dans les cabinets d’histoire naturelle a submergé le XVIIIe siècle. Ce deuxième volume s’ouvre sur une dédicace à l’archiduc Ferdinand (1754-1806), frère de Pierre-Léopold et futur duc de Modène, présentée par l’éditeur commercial, le libraire romain Giuseppe Antonio Monaldino. Elle prend la forme d’un texte entièrement gravé, surmonté des armoiries du prince tenues par deux renommées, des putti étudiant des coquilles à l’avant-plan, le tout entouré d’une fragile construction à la grotesque formée de spécimens d’histoire naturelle, coquilles et plantes marines.
Dans ce second volume, un texte introductif de Battarra propose une synthèse sur les mollusques du Musée Kircher et introduit la série des descriptions des coquilles telles qu’elles figuraient dans le catalogue de Bonanni en 1709. Ces descriptions sont elles aussi mises à jour, mais cette fois, non d’après Linné, mais d’après le malacologiste Niccolo Gualteri (1688-1744), celui-ci ayant l’avantage, aux yeux de Battarra, d’être italien. Son Index testarum conchyliorum publié à Florence en 1742 a du reste fait référence pendant tout le XVIIIe siècle, aux côtés de Dezallier d’Argenville et d’autres naturalistes et amateurs de coquilles. La conchyliologie n’était d’ailleurs pas la spécialité de Linné.
Les illustrations de coquilles sont celles déjà publiées dans les précédentes œuvres de Bonanni, le Musaeum Kircherianum de 1709, in-folio, et plus loin dans le temps, dans sa Ricreatione dell’Occhio e della Mente de 1681, in-quarto. On y retrouve toujours certains éléments récurrents dans les ouvrages de conchyliologie, comme le mollusque géant et fabuleux Cochlea sarmatica déjà présent dans La cosmographie universelle d’André Thévet en 1575, puis dans les principaux traités sur les coquilles jusqu’au XVIIIe siècle (tab. XXXII n° 230). À la fin, des planches additionnelles montrent quelques curiosités supplémentaires : dents de requin fossiles, poisson lune ou môle (Mola mola), coraux et madrépores, organes des mollusques, autre forme d’actualisation, l’éditeur souhaitant passer de la conchyliologie (les coquilles) à la malacologie (les mollusques dans leur ensemble, organes inclus).
Les deux volumes sortent des presses de Natale (1727-1796) et Filippo (1739-1798) Zempel, fils et héritier de Johann Zempel, d’origine autrichienne mais établi à Rome et décédé en 1768. Ils se vendent aussi chez Venanzio II et Giuseppe Antonio Monaldino, libraires et marchands d’estampes. L’ensemble des illustrations, soit un frontispice dans le tome I, une dédicace gravée dans le tome II, les 110 planches et les vignettes, a été dessiné et gravé par Giovanni Casini Sommasso, Andrea Blasi, Guiseppe Bocchi, F. Morel, Antonio Nessi, Ignazio Benedetti, Girolamo Carattoni et Francesco Nesi.
L’exemplaire de la Bibliothèque universitaire Moretus Plantin à Namur est entièrement mis en couleur, peut-être d’après nature car les couleurs des spécimens ne sont pas toujours détaillées dans le texte. Ces exemplaires sont rares. À titre de comparaison, les exemplaires de la Bibliothèque nationale d’Autriche à Vienne et de la Biblioteca nazionale Vittorio Emanuele III à Naples sont en noir et blanc. Au premier contreplat de chaque volume, l’ex-libris aux armes d’Antoine-Louis Blondel (1747-1794), conseiller au Parlement de Paris (1765), maître des requêtes (1774), intendant du commerce (1776) et intendant des finances (1787), vice-président de l’agriculture sous la Révolution. Au titre du volume I, figure un cachet aux initiales BD non identifié et dans les deux volumes apparaissent différents ex-libris, étiquettes, cachets et cotes du Collège Notre-Dame de la Paix, de sa Faculté des sciences et de la Bibliothèque universitaire Moretus Plantin, enfin.
Les collections du Museum Kircherianum souffrent au moment de l’abolition de la Compagnie de Jésus en 1773, puis des lois de 1866 sur la suppression des congrégations religieuses dans le nouveau royaume d’Italie. Les objets sont progressivement redistribués dans plusieurs musées romains, dont le Museo Preistorico ed Etnografico, le Museo Etrusco à la Villa Giulia, le Museo Nazionale Romano, d’autres encore. En 2001, une exposition a recréé une petite partie de ce grand musée aujourd’hui disparu. Elle témoignait de l’ampleur des domaines scientifiques couverts par les jésuites et de la qualité de leur enseignement et de leurs recherches. C’est une des raisons de la présence de cet exemplaire à Namur, par le biais des jésuites du collège Notre-Dame de la Paix.
Claude Sorgeloos
Bibliothèque royale de Belgique
Février 2014
Pour en savoir plus
- C. Nissen, Die zoologische Buchillustration : ihre Bibliographie und Geschichte, Stuttgart, 1969-1978, n° 2199.
- S. Peter Dance, A History of Shell Collecting, Leiden, 1986.
- A.-M. Bogaert-Damin et J. Piron, Livres d'animaux du XVIe au XXe siècle dans les collections de la Bibliothèque universitaire Moretus Plantin, Namur, 1987 (Bibliothèque universitaire Moretus Plantin. Publication n°3), n°40, p. 111-112.
- Athanasius Kircher und seine Beziehungen zum gelehrten Europa seiner Zeit, éd. Fletcher, Wiesbaden, 1988 (Wolfenbütteler Arbeiten zur Barockforschung, 17).
- S. Nicolas, Les derniers maîtres des requêtes de l’Ancien Régime (1771-1789) : dictionnaire prosopographique, Paris, 1998, p. 112-114 (Mémoires et documents de l’Ecole des Chartes, 51).
- Athanasius Kircher ; il Museo del Mondo, catalogue de l’exposition à Rome, Palazzo di Venezia, 28 février - 22 avril 2001, éd. E. Lo Sardo, Rome, 2001, spéc. p. 335-342 : S. Bruni, Il Museo Kircheriano e il Museo Nazionale Romano, p. 343-349 : M. Musacchio, L’Italia liberale e i Nuovi Musei dopo il 1870.
- Athanasius Kircher : the last man who knew everything, éd. P. Findlen, New-York -Londres, 2004.
- J. Godwin, Athanasius Kircher: le théâtre du monde, Paris, 2009.
- L'Antiquité de papier. Le livre d'art, témoin exceptionnel de la frénésie de savoir (XVIe - XIXe siècles), sous la dir. de M. Lefftz et C. Van Hoorebeeck, Namur, 2012, n°17.
- Itinéraires de coquillages, sous la dir. d'E. Faugère et I. Sénépart, Paris, 2013 (Techniques & Culture : revue semestrielle d’anthropologie des techniques, 59).