Carrés de couleur

Pedanii Dioscoridis Anazarbei, De medicinali materia libri sex, Ioanne Ruellio Suessionensi interprete. Singulis cùm stirpium, tum animantium historijs, ad naturae aemulationem expressis imaginibus, seu uiuis picturis, ultra millenarium numerum adiectis : non sine multiplici peregrinatione, sumptu maximo, studio atque diligentia singulari, ex diversis regionibus conquisitis. Additis etiam Annotationibus sive Scholijs brevissimis quidem, quae tamen de Medicinali materia omnem controuersiam facile tollant. Per Gualtherum Riuium, Argentinum, Medicum. Accesserunt priori editioni, Valerii Cordi Simesusii Annotationes doctissimae in Dioscoridis de Medica materia libros. Euricii Cordi Simesusii Iudicium de Herbis & Simplicibus Medicinae : Ac eorum quae apud Medicos controvertuntur, explicatio. Herbarum nomenclaturae, variarum gentium, Dioscoridi adscriptae, secundum literarum ordinem expositae. Aut. Conrado Gesnero, Medico. Cum Indice quintuplici copiosissimo : quorum primus omnium ferè simplicium, quibus passim utuntur Medici, nomenclaturas Graecas : alter Latinas, Officinis, Herbarijs, & Arabum Familiae vulgares : tertius Gallicas : quartus Germaniae superioris & inferioris, Saxonicae item linguae nomina : quintus Curationes & Remedia morborum, miro ordine complectitur

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Dioscoride est originaire de Anazarba, près de Tarse, dans la province romaine de Cilicie en Turquie. Il y vit au Ier siècle de notre ère. De nos jours, il est toujours connu comme l’auteur d’un livre d'exception : le De materia medica, ou Traité de matière médicale, un vaste recueil décrivant près de 700 végétaux, animaux et minéraux qui sont alors utilisés en thérapeutique.

L’œuvre de Dioscoride est remarquable à plusieurs titres : d’abord parce qu’elle est la somme des connaissances de l’époque sur les vertus de « mille drogues » dont les trois cinquièmes sont des plantes. Elle mentionne leur nom en différentes langues ; elle les décrit brièvement, ainsi que leur habitat et leur distribution géographique, particulièrement utiles aux herboristes ; elle les classe selon leurs propriétés médicinales fondées sur une expérimentation personnelle et directe qu’il peut réaliser grâce à ses nombreux voyages probablement comme médecin militaire. Cette étude comprend six livres : les cinq premiers sur des matières médicales et le sixième sur les poisons. Dans ce traité, Dioscoride expose successivement : les substances aromatiques, les onguents et les huiles d’origine végétale, les arbres et les fruits, les drogues d’origine animale, les céréales et herbes d’un goût acide et amer, les herbes et les racines, les vins et drogues d’origine minérale, et les poisons. Des index mentionnant le nom des plantes, des maladies et des remèdes en cinq langues en permettent une utilisation rapide et efficace par les praticiens.

Le De materia medica est surtout exceptionnel parce qu’il fera autorité en pharmacologie pendant quinze siècles, de l’époque romaine jusqu’à la Renaissance, de l’Empire byzantin jusqu’à l’Europe de Paracelse. Des parchemins de l’époque romaine jusqu’au livre imprimé, l’ouvrage sera maintes fois réécrit, réédité, annoté. À l’origine sans illustrations, il est complété dès le IIie siècle par des dessins des végétaux, des minéraux et des animaux étudiés, ainsi que par des mises en scène des drogues utilisées, qui contribuèrent à en assurer le succès.

En Europe, durant le Moyen Âge, le Traité n’eut pas la même diffusion que dans le monde byzantin et ce n’est qu’avec les travaux des humanistes de la Renaissance que l’on redécouvre non seulement la statuaire et la littérature antique, mais aussi les traités de médecine et de science en général. Dès avant la chute de l’Empire byzantin en 1453, des médecins grecs arrivèrent en Italie y introduisant le traité de Dioscoride. La langue grecque recommence à être enseignée, sa diffusion s’accélère en Italie, si bien qu’à la fin du XVe siècle, de nombreuses bibliothèques en possèdent un exemplaire. Quelques grands humanistes italiens en entreprennent alors l’étude. Une première édition, en grec, paraît à Venise en 1499.

L’exemplaire de la BUMP est une traduction en latin, langue véhiculaire de l’époque, établie par Jean Ruel de Paris et publiée par Christian Egenolff, à Francfort, en 1549. Cette édition est particulièrement complète et importante : elle devient la source et l’origine de la botanique scientifique jusqu’au début du XVIIe siècle. De nombreuses fois republiée, elle est, dès le départ et à chaque fois, complétée d’additions et d’annotations de savants qui faisaient état de leurs propres interprétations, observations, identification des plantes et synthèses botaniques. L’invention de l’imprimerie accélère la diffusion de cette somme médicale qui connaît un succès énorme pour l’époque. Cependant, le tirage limité et la fréquente manipulation et utilisation des ouvrages expliquent que peu d’exemplaires soient arrivés jusqu’à nous. Le texte est complété et éclairé de nombreuses illustrations : 786 gravures y sont insérées. Or, à l’époque, les gravures étaient faites sur des plaques de bois travaillées dans le sens du fil. Ce procédé coûteux et laborieux ne permet pas de rendre la finesse des détails qui apparaîtra avec la gravure sur cuivre. Souvent, l’imprimeur réemployait dans plusieurs publications les mêmes bois gravés. Ainsi, ce Dioscoride ferait-il abondamment usage des illustrations d’un autre livre publié par Egenolff : le Krauterbuch de Rösslin (1533) ? L’attrait de l’exemplaire présenté ici est renforcé par les couleurs des illustrations qui furent appliquées à la main dans les cinq premiers livres.

D’autres traductions en latin paraissent aussi à la même époque, ainsi que des commentaires publiés séparément, certains ayant pour but de rectifier les identifications des plantes, d’autres l’exploitation pharmacologique. En 1520, une première traduction est réalisée en langue vernaculaire : le flamand. Les autres traductions en d’autres langues n’apparaissent qu’à partir de 1542. Au total, à la Renaissance, on compte près de 78 éditions de Dioscoride.

La présentation des remèdes par Dioscoride est entourée des préjugés de l’époque romaine : des connaissances, de la religion, de l’alchimie. Tantôt dans la tradition populaire encore vivante aujourd’hui, tantôt concrets et actuels, tantôt magiques, comme en attestent quelques exemples.

L’urine est conseillée comme un remède dans de nombreuses affections. Boire son urine est recommandé en cas de diverses morsures : vipère, scorpion… Elle guérit de multiples éruptions cutanées et infections, nettoie les cicatrices dans les yeux et soulage les douleurs dans les oreilles. Cette pratique est encore traditionnelle dans certains pays : une campagne a été lancée récemment au Cameroun pour avertir de ses effets nocifs.

Le dentifrice (sic dans l’index en français) est confectionné avec des coquilles de crustacés ou des os de seiche qui sont broyés finement et réduits en poudre. Cette préparation est utilisée pour nettoyer et blanchir les dents. Bien sûr aujourd’hui les grandes marques utilisent d’autres ingrédients, mais voilà des idées pour de nouvelles campagnes de marketing…

Le superbe Draco marinus ou dragon marin (la vive) est un poisson de petite taille qui vit en eau peu profonde, souvent enfoui sous le sable. Son corps est couvert d’épines (aiguillons venimeux) de la tête à la queue. Ses piqûres sont redoutables : elles injectent à leur victime un venin très puissant. Le dragon marin, chez Dioscoride, est lui-même le remède aux piqûres de ses épines : il doit être ouvert, détaillé, pour être appliqué sur les blessures qu’il vient d’infliger. Aujourd’hui, nous savons que ce venin est détruit par une chaleur supérieure à 40-50 degrés.


Anne-Marie Bogaert-Damin

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