Carrés de couleur

Incipit rationale divinor[um] officior[um] editum p[er] reverendissimu[m] i[n] [christ]o patre[m] [et] d[omi]n[u]m d[omi]n[u]m Guilielmu[m] duranti: dei et ap[osto]lice sedis gr[ati]a presule[m] Mimaten[sis] qui co[m]po/suit speculum iuris [et] patru[m] po[n]tificale

Contenu

Le Rationale divinorum officiorum de Guillaume Durand (ca 1230-1296) est sans conteste l’un des traités de liturgie les plus importants du Moyen Âge. Rédigé à la fin du XIIIe siècle par Guillaume Durand, alors évêque de Mende, cette œuvre s’inscrit dans la longue tradition de l’interprétation allégorique de la liturgie. Elle est divisée en huit livres qui traitent des églises, de la hiérarchie cléricale, des vêtements liturgiques, de la messe, de l’office divin, des offices du dimanche, des fêtes des saints et du comput ecclésiastique. Son rayonnement fut immense. On recense plus de deux cents manuscrits datant de l’époque médiévale. Le Rationale divinorum officiorum est d’ailleurs l’un des premiers livres à avoir été reproduit à l’aide de caractères mobiles : il a été imprimé à Mayence en 1457 dans le même atelier où, deux ans plus tôt, la fameuse Bible de Gutenberg fut produite. Quarante-quatre autres éditions ont été exécutées sur des presses manuelles avant la fin du XVe siècle.

L’édition conservée par le Centre de Documentation et de Recherche Religieuses (CDRR), et numérisée sur le portail Neptun, est sortie de l’atelier d’Hermannus Liechtenstein en 1480. Cet imprimeur, originaire de Cologne, fut actif en Vénétie entre 1475 et 1494, date de son décès. Il a possédé plusieurs officines typographiques, la première à Vicence (1475-1480), la deuxième à Trévise (1477) et la dernière à Venise (1482-1494). Son catalogue compte une cinquantaine de titres dont deux éditions du Rationale de Guillaume Durand parues toutes deux à Vicence, la première en 1478 et la seconde, qui nous occupe ici, en 1480. La version du texte de Durand retenue par Liechtenstein s’ouvre sur une épître rédigée par Johannes Aloisius Tuscanus, auditeur à la chambre apostolique, et dédiée à Pedro Ferriz (1416-1478), archevêque de Tarragone et cardinal de Tarazona. Cette dédicace, qui revient sur l’intérêt que représente le Rationale, a paru pour la première fois à Rome en 1477. On compte une quinzaine d’autres réimpressions antérieures à 1500.

L’exemplaire du CDRR se distingue notamment pour sa décoration manuscrite. La première page du texte est rehaussée d’un encadrement peint représentant des motifs végétaux aux couleurs chatoyantes, de style italien. Des pieds-de-mouche (sorte d’ancêtre de nos sauts de paragraphe) ainsi que des lettrines de couleurs rouge et bleue ont également été intégrés à la main afin de faciliter la lecture des pages si densément remplies. Au XVe siècle, tout possesseur de livres désireux de les décorer ou, plus simplement, d’insérer des aides à la lecture devait inévitablement recourir à des enlumineurs, la technique typographique n’étant pas encore en mesure de reproduire des livres en polychromie. Le nom du premier propriétaire de l’exemplaire du CDRR est d’ailleurs connu. Sur le verso du dernier folio de ce livre, on peut ainsi lire que Johannes Maria de La Mayrula en revendique l’appartenance et précise même l’avoir acheté à Rome le 3 avril 1482 (Iste liber […] est mey Johannismarie de La Mayrula emptus Rome […] anno Domini m° cccc° lxxxii die iii aprilis […]). Le livre est recouvert d’une reliure en cuir à la décoration d’inspiration arabe typique de l’art de la reliure italienne de cette époque. Sur le premier folio, on relève également la présence d’un cachet plus tardif, datant du XIXe siècle et partiellement effacé, qui représente un Sacré-Cœur accompagné de l’inscription « Communion réparatrice ». Il a été apposé lors de l’entrée du volume dans la bibliothèque du Musée du Hiéron à Paray-le-Monial, musée consacré au miracle eucharistique et fondé en 1875 par le Père jésuite Victor Drevon (1820-1880) et le noble espagnol Alexis de Sarachaga (1840-1918). À la suite des difficultés financières rencontrées au lendemain de la seconde guerre mondiale, le Hiéron s’est vu dans l’obligation de se séparer de sa collection livresque. Le Collège des jésuites d’Eegenhoven, près de Louvain, s’en est porté acquéreur en 1948 pour la somme de 500.000 francs français dans l’optique de restaurer, en partie, sa bibliothèque détruite en mai 1940 lors de l’invasion allemande. Cette bibliothèque, qui a reçu l’appellation de CDRR en 1969, a été transférée à Namur en 1980 dans les anciens bâtiments de la bibliothèque des « Belles-Lettres » fondée par le Père jésuite Henri Moretus Plantin (1878-1957) en 1921 et qui deviendra, en 1979, l’actuelle Bibliothèque universitaire Moretus Plantin (BUMP). L’ouvrage est aujourd’hui consultable à la BUMP à la suite d’une convention passée entre l’Université de Namur et la Compagnie de Jésus relative à la gestion des fonds du CDRR.


Renaud Adam (avril 2014)
Université de Namur – UNamur
Université de Liège – ULg (Transitions – Département de recherche sur le Moyen Âge tardif & la première Modernité)


Pour en savoir plus

Incunabula Short-Title Catalogue, id00423000 (http ://www.bl.uk/catalogues/istc/)

- M.-L. Polain, Catalogue des livres imprimés au quinzième siècle des bibliothèques de BelgiqueSupplément, Bruxelles, 1978, n° 4342.

- G. Mollat, « Durant (Guillaume) », in Dictionnaire d’histoire et de géographie ecclésiastiques, t. 14, Paris, 1960, cols 1169-1171.

- P.-M. Gy (éd.), Guillaume Durand. Évêque de Mende (v. 1230-1296). Canoniste, liturgiste et homme politique. Actes de la Table Ronde du C.N.R.S., Mende 24-27 mai 1990, Paris, 1992.

- D. Dendraël, « Le musée eucharistique du Hiéron : de la fondation à la rénovation (1875-2005) », in N. Reveyron, et al. (éds), 1004-2004. Un millénaire à Paray-le-Monial. Troisième colloque scientifique international 1, 2 et 3 octobre 2004, Paray-le-Monial, 2005, p. 113-119.

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