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Charles Darwin… voilà un nom évoqué tant de fois dans les cours de biologie animale que je donne chaque année aux étudiants de bloc 1 en faculté de médecine ! Qui aurait jamais pensé qu’un jour je parcourrais non pas L’origine des espèces mais bien La descendance de l’homme et la sélection sexuelle du même auteur, ouvrage publié en version française en 1872 ! C’est le tome 2 que j’ai choisi ici, consacré aux vertébrés.
Je passerai rapidement sur les poissons, en pointant toutefois l’épinoche mâle décrit comme « fou de joie » lorsqu’il aperçoit la femelle sortant de sa cachette ! Darwin évoque aussi certains poissons qui non seulement construisent les nids, mais prennent soin des petits, « faisant toute la besogne » ! Enfin, il évoque les poissons produisant des « sons particuliers, qualifiés par certains de musicaux », comme les ombrines des mers d’Europe produisant un bruit de tambour au moment du frai.
Le chapitre sur les amphibiens est plein d’humour au second degré. Ils présentent peu de différences sexuelles. « Bien qu’à sang froid, ils ont des passions fortes » au point qu’il n’est pas rare de voir les femelles de crapauds « mortes étouffées, sous les embrassements de 3 ou 4 mâles ».
Je passerai le chapitre sur les reptiles pour aborder les oiseaux car, comme l’évoque Charles Darwin, « les oiseaux paraissent être de tous les animaux, l’homme excepté, ceux qui ont le sentiment esthétique le plus développé et pour le beau presque le même goût que nous ». Mais si les oiseaux sont esthètes, les mâles sont querelleurs, en particulier chez les espèces de petite taille, comme le rouge-gorge de nos régions. Chez certaines espèces, le combat peut être mortel ! « La saison d’amour est celle de la guerre », illustrée par de nombreuses anecdotes, souvent sanglantes ! Mais les femelles sont aussi sensibles au charme de la cour, qui parfois peut être longue… et les chants y jouent un rôle-clé, chants et cris permettent aux oiseaux d’exprimer leurs émotions, de la détresse à la satisfaction. Il suffit d’écouter le chant caractéristique de la poule qui vient de pondre. Quant au chant des mâles, vise-t-il à charmer les femelles ou à attiser la rivalité entre les mâles eux-mêmes ? Sans doute un peu des deux, car dans nos régions, les meilleurs chanteurs sont souvent, à quelques exceptions près comme le bouvreuil ou le chardonneret, de couleur discrète et uniforme, alors que les oiseaux les plus colorés d’Europe tels les guêpiers, rolliers, geais et autres, sont de piètres chanteurs, qui ne produisent que des cris assez rauques. Darwin décrit aussi l’usage des plumes pour produire des sons que ce soit chez le paon ou la bécasse en vol, avec parfois des particularités au niveau de certaines plumes. La cour sophistiquée des oiseaux mâles se trouve également longuement abordée dans ce livre, que ce soit pour chasser ses rivaux, voire pour les tuer. On apprend aussi que les mâles adoptent « des attitudes grotesques » et la cour adressée aux femelles est souvent « longue, délicate et embarrassante » ! Enfin, Darwin évoque le goût du beau, magnifiquement illustré par plusieurs espèces australiennes dont les mâles construisent de véritables jardins ou berceaux, décorés de coquilles ou de baies. La lecture de Darwin m’a naturellement poussée à revoir les capsules vidéo de la BBC commentées par David Attenborough. Comme Darwin aurait apprécié celles sur les oiseaux jardiniers, qui récoltent des objets trouvés (le bleu est privilégié) comme des capsules de bouteilles ou des pinces à linge (au lieu des baies à l’époque de Darwin). Il aurait aussi apprécié les capsules illustrant les parades des oiseaux du paradis !
Passons aux mammifères et à l’homme. Après les oiseaux, c’est la douche froide ! Selon Darwin, chez les mammifères, « le mâle paraît obtenir la femelle bien plus par l’usage du combat que par l’étalage de ses charmes ».
Un chapitre est naturellement consacré aux « armes » de combat et aux caractères secondaires. Mais Darwin s’interroge longuement aussi sur des caractères d’ornementation, en particulier chez les singes (crinière, barbes, favoris, touffes de poils élégantes etc.), probablement inutiles pour l’usage ordinaire, mais qui auraient été acquis par sélection sexuelle, certains l’emportant sur d’autres et laissant par conséquent une descendance plus abondante.
Quand Darwin passe à l’homme, on replonge brutalement dans le XIXe siècle. « L’homme, dit-il, est plus courageux, belliqueux et énergique et a un génie plus créatif que la femme » et il y est encore question de nations « barbares » et d’individus « sauvages ». Je préfère aussi passer sous silence le paragraphe sur « la différence dans la puissance mentale des deux sexes ». Darwin évoque également les problèmes d’infanticide chez certains peuples ainsi que les fiançailles précoces et l’esclavage des femmes. Dans la fin de l’ouvrage, on peut épingler les phrases étonnantes suivantes à propos des femmes (pages 390-391) : « Elles empruntent aux oiseaux mâles les plumes que la nature leur a fournies pour fasciner leurs femelles » (...) « Les femmes sont donc devenues, comme on l’admet généralement, plus belles que les hommes ». Darwin insiste d’ailleurs sur les critères tout relatifs de la beauté, très variables selon les peuples et les régions, ce qu’il illustre par de nombreux témoignages et observations. Les femmes jouent donc, d’après Darwin, un rôle important dans l’évolution car elles transmettent leur caractère ainsi que la beauté à leur progéniture, filles et garçons, et tendent donc à modifier de la même manière tous les individus des deux sexes.
Cette longue balade de 494 pages vivantes (index inclus) est plaisante à lire et nous fait voyager à travers le monde animal, sur une bonne partie de la terre, par les observations, anecdotes et témoignages évoqués (dont ceux de Darwin lui-même) – il est d’ailleurs stupéfiant de voir la diversité des régions citées dans l’ouvrage ! – Le livre se termine par un vibrant argumentaire en faveur de l’évolution, rappelant que l’homme « descend d’une forme moins parfaitement organisée ». Certes, Darwin avoue les aspects spéculatifs et les nombreuses questions encore restées sans réponse dans l’ouvrage. Il se montre conscient que ses conclusions risquaient à l’époque d’être dénoncées comme irréligieuses.
En cette époque de « fake news » et « fake data », laissons Darwin parler pour terminer : « Les faits faux sont très nuisibles aux progrès de la science, car ils persistent souvent fort longtemps ; mais les opinions erronées, appuyées sur une certaine évidence, ne font guère de mal, chacun se donnant le plaisir utile d’en démontrer la fausseté ; ce qui en fermant une voie qui conduisait à l’erreur, ouvre souvent en même temps le chemin de la vérité ».
Merci Charles Darwin !
Martine Raes
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Titre | Libellé alternatif | Classe |
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![]() La descendance de l'homme et la sélection sexuelle. Volume 1Vogt, Karl Christoph, 1817-1895 |