Carrés de couleur

Tite-Live, livre XXI: préparation annotée et illustrée

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Ce serait sans doute rendre fort mal justice à la figure du père jésuite Jules Van Ooteghem (1896-1968) que de l’aborder seulement par le truchement d’une plaquette pédagogique à l’usage de l’enseignement secondaire : celui qui fut chargé de la chaire de latin aux Facultés de Namur de 1931 à 1966, où il créa dès 1932 une revue de recherche et d’enseignement au rayonnement international (Les Études classiques), se signala par plusieurs publications unanimement reconnues par la communauté scientifique (dont l’incomparable Pompée le Grand, bâtisseur d’Empire, 1954), ce qui lui valut d’être élu membre de la prestigieuse Académie royale de Belgique (1963).

Il est vrai, comme le souligna l’in memoriam du père Van Ooteghem paru dans la revue qu’il avait fondée, que « le souci pédagogique, en somme, n’a jamais cessé de conditionner et d’équilibrer toutes les activités intellectuelles du R. P. Van Ooteghem »1. Il contribua du reste à une dizaine de ces « Préparations d’auteurs », initiées par les éditions H. Dessain à Liège peu avant 1910, sur les conseils de l’inspecteur général Léon Goemans, à l’imitation de ce qui se pratiquait déjà en Allemagne. Il devait bientôt apparaître comme le directeur la collection2, n’hésitant pas, pour en faire la promotion, à écrire personnellement à des hommes influents tels que l’éminent professeur de la Sorbonne Jules Marouzeau3.

C’est principalement le versant grec de la collection qu’il enrichit d’éditions successives, régulièrement révisées : Eschyle, Hérodote, Homère, Lucien, Xénophon et les orateurs attiques. Les trois « exceptions » latines (Cicéron, De imperio Cn. Pompeii ; Virgile, Énéide, VI ; Tite-Live, Histoire romaine, XXI) n’en sont que d’autant plus significatives de l’intérêt qu’il portait à ces œuvres en particulier.

De fait, la préparation du livre XXI de Tite-Live, décrivant les débuts de la deuxième guerre punique, ne connut pas moins de onze éditions (1923-1966) du vivant de l’auteur, qui s’y montre autant préoccupé par le commentaire proprement philologique que par l’explicitation des faits historiques, pour lesquels il pourra, au fil des réimpressions, renvoyer avec raison à deux de ses publications érudites : les « Chroniques hannibaliennes »4.

Une critique de la deuxième édition recrée fort bien le contexte pédagogique dans lequel ces préparations avaient été conçues : « Il y a deux façons de lire Tite-Live : ou bien traduire à travers son œuvre entière les passages les plus saillants […] ou bien lire en entier un livre ou même deux, si possible : dans ce dernier cas, il faut une préparation imprimée qui allège considérablement la tâche du professeur et des élèves, en donnant à ceux-ci non seulement l’explication des mots difficiles, mais en leur fournissant aussi, surtout par l’illustration, un commentaire perpétuel des realia historiques et géographiques5. » Le recenseur conclut avec une pointe d’humour en remerciant l’auteur « pour les nombreux ‘potaches’ qui, grâce à lui, liront avec plus d’entrain et de profit le magnifique livre XXI de l’historien Padouan »6. Cette note finale permet de relativiser l’objectif quelque peu idéaliste déclaré par le P. Van Ooteghem : « forcer [les] élèves à débrouiller par eux-mêmes l’auteur latin ou grec, avant qu’il ne soit expliqué en classe7. »

La fin de l’obligation d’étudier le latin pour accéder à l’enseignement supérieur (1964), les réductions d’horaires affectant les cours de langues anciennes et l’arrivée de nouveaux moyens de polycopie, d’édition et de diffusion électronique eurent définitivement raison du beau succès de ce genre de manuel.


Paul Pietquin


1 Fr. De Ruyt, « Ad memoriam R. P. J. Van Ooteghem », dans Les Études classiques, 37, 1969, pp. 211-215 (citation p. 215).
2 Cf. L. Denis, « Les préparations d’auteurs », dans Nova et vetera, 13, 1929, p. 233.
3 Cf. J. Marouzeau, « Chronique. I. Le problème des éditions scolaires », dans Revue des études latines, 8, 1930, pp. 289-290.
4 Parues dans Humanitas, 2, 1927, pp. 103-121 et dans Les Études classiques, 5, 1936, pp. 35-47.
5 J. Gessler, « Préparation d’auteurs grecs et latins », dans Revue belge de Philologie et d’Histoire, 6, 1927, pp. 509-511 (citation p. 510).
6 Ibidem, p. 510.
7 J. Van Ooteghem, « Les préparations d’auteurs », dans Nova et vetera, 14, 1930, p. 68.

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