
Hippocratis Coi medici vetustissimi, et omnium aliorum principis, libri omnes, ad vetustos Codices summo studio collati & restaurati
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« Je jure par Apollon médecin, par Asclépios, par Hygie et Panacée, par tous les dieux et toutes les déesses, les prenant à témoin, de remplir selon ma capacité et mon jugement, ce serment et ce contrat » Ainsi débute la version originelle du célèbre serment d’Hippocrate, lointain ancêtre de celui que prêtent aujourd’hui encore les jeunes diplômés en médecine avant de commencer à exercer. En dépit de la célébrité du nom d’Hippocrate, nous savons très peu de choses de celui qui allait devenir la figure tutélaire de l’art médical. Originaire de Cos, il vécut aux Ve et IVe siècles av. J.-C. Il se forma auprès de son père et de son grand-père, et exerça d’abord sur son île natale, avant de mener une vie de médecin itinérant, surtout en Grèce du Nord et en Thessalie, où il mourut à un âge avancé. De son vivant déjà, Hippocrate passait pour le plus grand médecin de son temps, et une véritable légende hippocratique ne tarda pas à se développer après sa mort. Cette extraordinaire renommée explique qu’on lui attribua la soixantaine de traités médicaux désignés aujourd’hui sous le nom de Corpus ou Collection hippocratique. Cet ensemble – trop diversifié pour être l’œuvre d’un seul homme – traite de tous les domaines de l’art médical : déontologie, sémiologie, étiologie, diététique, nosologie, gynécologie, chirurgie… Malgré des différences de vocabulaire et des divergences de doctrine, ces textes révèlent une même approche de la maladie et une même conception de l’art médical et de la déontologie. Avec l’école hippocratique, la médecine s’affirme comme une discipline rationnelle, qui s’oppose aux pratiques religieuses et magiques en vogue à l’époque.
Ce rationalisme, qui allait de pair avec une réflexion sur l’homme et sa condition, exerça une influence profonde et durable sur la science médicale, depuis l’Antiquité (surtout avec Galien) jusqu’à l’époque moderne. Le livre exposé est un exemple de cette exceptionnelle postérité. Il s’agit d’une édition de « tous les livres d’Hippocrate de Cos, le plus ancien médecin et le premier entre tous », pour reprendre la formulation des titres grec et latin. L’ouvrage a paru en 1538 à Bâle, un des centres névralgiques de l’humanisme. Alors que le Moyen Âge n’avait eu connaissance de la médecine hippocratique qu’à travers le prisme de Galien, notre volume donne à lire les textes mêmes du corpus hippocratique, qui plus est directement en grec, et non en traduction latine (comme dans la première édition, parue en 1525). À la Renaissance, en effet, l’Occident redécouvre le grec. Pour éditer en langue originale les œuvres de la littérature hellénique, les imprimeurs des XVe et XVIe siècles ont créé de magnifiques caractères qui imitent l’écriture manuscrite et ses ligatures raffinées. La présente édition est due au savoir faire d’une des plus célèbres dynasties d’imprimeurs-libraires de l’époque : la maison Froben. Le colophon – rédigé en grec ! – à la dernière page de l’ouvrage indique que celui-ci a été imprimé par les soins de Jérôme (Hieronymus) Froben et de Nicolaus Episcopius, son beau-frère et associé. Au centre de la page de titre, on découvre la marque de l’officina Frobeniana : deux mains émergeant de nuées qui tiennent un bâton surmonté d’une colombe et autour duquel s’enroulent deux serpents couronnés. Ce caducée est avant tout l’attribut de Mercure (ou Hermès), dieu du commerce, de l’éloquence et des arts, mais les Froben l’avaient adopté plutôt en tant que symbole de justice (la colombe représentant quant à elle la simplicité), pour illustrer leur devise : Prudens simplicitas amorque recti (« Prudente simplicité et amour de la droiture »). En tout cas, contrairement à ce qu’un lecteur d’aujourd’hui pourrait croire de prime abord, le caducée n’a pas été choisi en lien avec le contenu du livre, pour symboliser la médecine (une valeur qu’il n’acquerra qu’au XIXe siècle).
Comme il était d’usage à l’époque humaniste, ce livre s’ouvre par une lettre de dédicace à un puissant. L’épître – rédigée en latin, cela va sans dire – est signée par le médecin (et non moins philologue…) Janus Cornarius (1500-1558), qui explique avoir utilisé trois manuscrits anciens, procurés par Jérôme Froben, pour corriger le texte de la toute première édition du Corpus hippocratique en version originale grecque, qui avait paru à Venise douze ans plus tôt, en 1526. Notre édition de 1538, qui fit autorité jusqu’au XIXe siècle, constitue ainsi un jalon important dans la réception de l’œuvre hippocratique.
L’exemplaire conservé à la BUMP est aussi un témoin singulier de l’usage qui pouvait être fait d’un tel ouvrage. Un certain Simon du Fresne, a inscrit son nom à deux reprises sur les feuilles de garde. L’écriture permet de situer ce propriétaire aux xvie-xviie siècles. Celui-ci s’est véritablement approprié le contenu du livre, notamment en insérant dans le sommaire les numéros de page correspondant aux titres grecs des traités et à leur traduction latine. Il n’est pratiquement pas une page (sur les 562 que compte le volume) qui ne soit annotée de la même main, laquelle a souligné des phrases, noté des rubriques (en latin) dans les marges, ou encore inséré des renvois à d’autres passages. À la toute fin de l’ouvrage, en dessous du colophon, on lit encore, toujours dans la même écriture, une table d’unités de mesure des liquides. Cet Hippocrate imprimé à Bâle, qui fut un temps la possession des capucins d’Amiens (comme l’indique la mention manuscrite Capucinis Ambianensibus sur la page de titre), avant d’être intégré au patrimoine de l’ordre jésuite, conserve ainsi le souvenir émouvant d’heures studieuses passées à apprendre l’art médical dans le texte grec du « père de la médecine ».
Pierre Assenmaker
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