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Et ça… c’est une révolution complète.
Frédéric Silvestre, professeur de biologie à l’UNamur
1859 est une date clé dans l’histoire des sciences. Charles Darwin (1809-1882), naturaliste et paléontologue anglais, publie les observations qu’il a faites lors de son expédition à bord du Beagle : L’origine des espèces révolutionne la biologie autant que la religion.
Darwin fait sienne l’hypothèse émise 50 ans auparavant par Lamarck : les espèces vivantes ne sont pas des catégories fixes ; elles se diversifient avec le temps, ou disparaissent. Il propose en revanche le mécanisme de la « sélection naturelle » pour expliquer ce phénomène d’évolution : les individus les mieux adaptés à leur environnement survivent et transmettent leurs caractères à leur descendance.
La publication a un succès inattendu auprès du public et provoque une controverse dans les milieux scientifique et religieux. De débat en polémique, les propos de Darwin sont déformés (non, il n’affirme pas que « les hommes descendent des singes », pas même dans son ouvrage plus tardif The Descent of Man). L’évolution par la sélection naturelle est en particulier largement discutée, voire dénigrée – les écrits d’Hector Lebrun en sont un exemple. Il n’empêche : Darwin conquiert une foule de disciples qui commentent et exportent son œuvre, comme Ernst Haeckel en Allemagne, ou Clémence Royer en France, qui élargissent ses théories (néo-darwinisme), les extrapolent (darwinisme social) mais finissent par lui donner raison : dans les années 1930, la théorie de la sélection naturelle est confirmée par le développement de la génétique et considérée comme l’explication essentielle du processus d’évolution.
L’œuvre conservée à la BUMP est une traduction française de Clémence Royer, philosophe et féministe qui connait déjà les travaux de Lamarck. L’autrice travaille à une première traduction en 1862, avec l’accord de Darwin, et gonfle le manuscrit original d’une préface de 64 pages dans laquelle elle donne sa conception de l’évolution (tendant vers le « progrès ») et s’attaque vigoureusement aux croyances religieuses, inscrivant l’œuvre du savant anglais dans une opposition au christianisme. Elle ajoute aussi, par un jeu de notes en bas de pages, une série de commentaires et de critiques des hypothèses darwiniennes. Si bien que pour la deuxième édition, celle de 1866 que conserve la BUMP, Darwin réclame de nombreuses modifications et suggère un adoucissement de la préface qui se transforme malgré tout en plaidoyer pour la libre pensée, amenant Darwin à regretter cette collaboration qui, pense-t-il, a nui à la réception de sa pensée en France.
Même si elle est admise universellement par les scientifiques, la théorie de l’évolution de Darwin continue aujourd’hui à être remise en cause par certains milieux conservateurs, aux États-Unis surtout, mais en Belgique également. Créationnistes et partisans du « dessein intelligent » (Intelligent design) postulent, avec des prétentions scientifiques, que la nature procède d’une création divine pour les premiers, qu’elle résulte d’un plan défini par une Intelligence Supérieure pour les seconds. Plus de 150 ans après Darwin, la question épistémologique, pétrie d’enjeux politiques et éthiques, n’est toujours pas entièrement dépassionnée.
Trois années seulement après la publication de son œuvre majeure, Darwin rédige cet essai plus austère et en apparence limité au monde végétal. C’est qu’entre-temps, sa fille est tombée malade et il l’a accompagnée en bord de mer où il s’est mis à contempler – et donc étudier, c’est plus fort que lui – les orchidées. Le savant a toujours fait des expériences sur les plantes, pour fonder sa théorie de l’évolution, et les a multipliées depuis 1859 pour répondre aux objections de ses détracteurs. En 1862, ses observations débouchent sur cette étude révolutionnaire analysant la façon dont la beauté des fleurs sert à assurer la pollinisation par les insectes et à garantir une fertilisation avec croisement. Mais derrière le titre peu évocateur, Darwin approfondit en fait la façon dont les variations apparaissent et agissent sur la sélection. Dans De la fécondation des orchidées par les insectes, il persiste et signe L’origine des espèces.
Commentaire rédigé dans le cadre de l'exposition "Quand la médecine rencontre son patrimoine"
Voici une traduction française par Clémence Royer du livre que Charles Darwin publie pour la première fois en 1859 sous le titre plus complet De l’origine des espèces au moyen de la sélection naturelle, ou la préservation des races favorisées dans la lutte pour la vie. Ce livre, qui est considéré aujourd’hui comme le texte fondateur de la théorie moderne de l’évolution, déclencha une véritable révolution scientifique et intellectuelle. Darwin s’appuie sur des observations réalisées au cours d’une expédition autour du monde pour présenter la thèse suivant laquelle les espèces vivantes ne sont pas immuables mais se diversifient avec le temps et dérivent les unes des autres, formant une généalogie arborescente.
Pour expliquer cette « transmutation » des espèces, Darwin se base sur des observations et des inférences que le biologiste Ernst Mayr résume ainsi :
Toutes les espèces sont suffisamment fertiles pour que la taille de la population augmente si tous les petits survivent et se reproduisent à leur tour (observation).
Malgré des fluctuations périodiques, la taille des populations n’augmente pas de façon infinie (observation).
Les ressources (telles que la nourriture ou l’espace) sont limitées (observation).
Il y a donc une lutte pour la survie entre les individus (inférence).
Les individus d’une même espèce peuvent être différents les uns des autres (observation).
Ces variations, qui sont dues au hasard, sont (au moins en partie) transmises des parents aux enfants (observation).
Les individus les mieux adaptés à un environnement (nourriture, prédateurs, climat…) survivent mieux et produisent une descendance viable plus nombreuse que les individus moins bien adaptés. Ils transmettent donc mieux leurs caractéristiques héritables à la génération suivante (observation). Ceci est le processus de sélection naturelle.
Ce processus lent produit des changements au niveau de la population qui s’adapte à l’environnement. Avec le temps, il peut aboutir à la formation de nouvelles espèces, y compris l’espèce humaine (inférence).
Cette théorie qui implique la transmutation des espèces a suscité d’intenses controverses car elle était en conflit avec les croyances religieuses de l’époque selon lesquelles toutes les espèces ont été créées par Dieu, et l’homme occupe une place privilégiée qui le distingue des autres animaux.
Même si elle est admise universellement par les scientifiques, la théorie darwinienne continue aujourd’hui encore à être remise en cause par certains milieux conservateurs. Ainsi, un groupe de pseudo-scientifiques soutient l’idée que la complexité des différentes formes de vie s’explique mieux par un « dessein intelligent » (intelligent design) préexistant que par des processus non dirigés tels que la sélection naturelle.
Olivier De Backer
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