Carrés de couleur

Description de la nature & facultez des fontaines acides de Spa

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Voici un ouvrage publié à Liège en toute fin de XVIe siècle. Il traite d’un sujet qui semble d’abord plutôt régional, mais qui se retrouve lié à la médecine et à son histoire via le thermalisme et la recherche d’une compréhension des propriétés médicinales (« vertus et miraculeux effets » dit l’auteur) de certaines fontaines acides de Spa. De façon très intéressante, l’auteur y relate des approches quasiment expérimentales visant à identifier ces « vertus » médicinales qui ont depuis lors apporté aux eaux spadoises une solide réputation mondiale. Cette réputation explique notamment que le mot « ;spa », qui a littéralement intégré la langue anglaise, compte parmi les définitions de ce début de XXIe siècle fournies par l’Oxford Dictionary : l’appellation commune d’une « source d’eau minérale aux propriétés bienfaisantes pour la santé ». Beaucoup d’honneur dès lors pour ce village ardennais, situé à l’ouest des Hautes-Fagnes, et pour ce mot dont le sens ne cesse de s’étendre dans la langue de Shakespeare.

À l’époque de la publication de ce livre, deux sources spadoises aux propriétés acides sont particulièrement fréquentées : la source du Pouhon, située au marché (centre) du village et la source de la Sauvenière, localisée sur les hauteurs du village, le long de la route qui s’éloigne vers l’est en direction de Stavelot, au pied du plateau humide des Hautes-Fagnes (plus précisément, au pied de la Fagne dite de « Malchamps »). Bien que l’auteur signale l’existence de nombreuses autres sources aux vertus médicinales dans la région des Ardennes au sens large, il décrit ici comment il a profité du savoir-faire d’un médecin-distillateur parisien pour isoler, analyser et identifier de multiples sels minéraux dissous dans l’eau de ces deux sources. On y apprend ainsi qu’espérant y trouver de l’or, l’auteur a dû admettre avoir été abusé par la présence du soufre qui colore particulièrement les sels purifiés à partir de ces sources, y découvrant notamment ce qu’on dénomme alors de la « coperose » (couperose), un nom ancien donné à des sulfates de fer, de zinc et de cuivre.

Moins expérimental, le texte raconte diverses suppositions apportées à l’époque quant aux phénomènes de dissolution des sels minéraux présents dans les sols par les eaux qui y transitent, mais rapporte aussi avec beaucoup d’intérêt les exhalaisons diverses qui émanent de ces fontaines. Retournant à l’expérience, l’auteur s’interroge notamment sur la question essentielle de savoir qui, des sels minéraux purifiés par distillation, ou des substances volatiles qui émanent de ces eaux et qui échappent à ses investigations, se trouve responsable de leurs propriétés médicinales. Une approche rationnelle se trouve dès lors proposée, faisant suite à une observation précise : alors que les eaux étudiées semblent efficaces, les sels isolés ne le sont pas, même s’ils se trouvent à nouveau dissous dans une eau différente. Argumentant de plus sur la perte rapide d’odeur et donc des « matières volatiles et spiritueuses » de l’eau immédiatement prélevée à la source, l’auteur conclut que ce sont donc les contenus volatiles qui rendent ces eaux « médicinales ».

À la suite de cette approche encore convaincante aujourd’hui, l’auteur s’enthousiasme parfois et se lance dans des suppositions gratuites et allégoriques d’effets obscurs sur les vaisseaux sanguins ou sur les caractéristiques physico-chimiques du cerveau. Toutefois, généralement beaucoup plus réaliste, il admet vaine une argumentation raisonnable, capable d’expliquer les effets observés, à cause du manque de technologies de l’époque et des impossibilités qui y sont liées d’analyser finement les substances exhalées de ces eaux. Dès lors, la nécessité de consommer ces eaux localement, sous peine d’en perdre les propriétés bénéfiques, en devient la conclusion évidente. Très humblement tout compte fait, l’auteur conclut sur son incapacité d’apporter un soutien « scientifique » à la véritable action de l’eau de ces sources et admet qu’il s’agit d’un remède qui reste empirique puisqu’il ne peut malheureusement apporter d’explication suffisante par ses investigations. Pour compléter le volet chimique, signalons enfin l’intérêt particulier de l’auteur pour prouver la présence de « vitriol » (sulfate de fer ou acide sulfurique, à l’époque) dans l’eau des deux sources étudiées.

On peut aujourd’hui bien sûr s’amuser des propriétés accordées jadis à ces substances volatiles, souvent nommées « esprits », qui selon l’auteur confèrent à l’eau de la Sauvenière une « légèreté » supérieure à l’autre. On peut aussi voir dans quelques chapitres de cet écrit un plaidoyer, certes vraisemblablement involontaire, pour amener dans la région et le village même les curistes de l’époque. Ceci est en effet intéressant au regard du maintien de la réputation touristique de la ville et de sa région.

La consultation de cet ouvrage est par ailleurs particulièrement révélatrice pour le lecteur de notre époque qui apprend, par de nombreux détails, que ces eaux permettent d’expurger ce qu’on appelle alors « les mauvaises humeurs » (ou liquides corporels nocifs) sans recourir à la médecine d’alors qui, comme le mentionne lui-même l’auteur, ne peut obtenir les mêmes effets sans endommager les corps des patients (on pense ici bien sûr aux célèbres et trop nombreuses saignées auxquelles nous échappons aujourd’hui). Suivent d’ailleurs quelques exemples de guérisons. Les noms des patients y sont cités quand ils sont connus de l’auteur, avec tous les détails de leurs maux, remèdes et rémissions, obtenues parfois après quatre étés passés au village de Spa, comme pour ce gentilhomme qui pouvait se permettre ce type de séjour. Évidemment, au regard de la grande diversité des conditions traitées, le lecteur actuel accordera sa bienveillance aux conseils distribués par l’auteur au travers des exemples fournis et de leurs issues heureuses. Cependant, on reste également sceptique devant autant de propriétés bénéfiques, internes surtout, mais s’étendant parfois à des applications externes, capables de traiter diverses maladies cutanées infectieuses ou simplement inflammatoires.

Plus de quatre cents ans nous séparent de ces écrits. Le tourisme de la région a bien profité d’une telle publicité, et même si l’auteur recommande toujours une consultation chez le médecin avant de recourir aux eaux de Spa, il préconise ensuite au curiste un à deux jours de repos dans le village afin de profiter au mieux des bienfaits des thermes.

Paradoxalement, à la fin de son ouvrage, Gherincx réfute les détracteurs des fontaines acides pour qui le bon air de la région et l’offre d’exercices physiques qu’on y trouve procurent autant de réconfort que la consommation des eaux, en évoquant de son côté le besoin d’une vie et d’une table équilibrée. On s’amusera du fait qu’il cible particulièrement les buveurs de vin alors qu’il recommande lui-même bien avant dans son ouvrage la consommation de vin du Rhin pour les curistes qui séjournent à Spa !

Concluons ce tour des qualités de Spa et de ses fontaines en signalant que les eaux des sources commercialisées aujourd’hui ne sont pas celles qui ont fait la réputation initiale de la ville. La source de la Reine par exemple, pourtant proche de la source de la Sauvenière, produit une eau non gazeuse qui a relativement peu séjourné dans le sol des Fagnes et qui se trouve de ce fait très peu chargée en sels minéraux, une de ses plus grandes qualités.

À noter : l’imprimatur donné en latin à l’issue de l’ouvrage par l’autorité religieuse (Jean Chapeauville (1551-1617)) à Liège.


Yves Poumay

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Philippe Gherincx et les sources de Spa

Poumay, Yves

La source de la Sauvenière à Spa

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