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Samuel Auguste André David Tissot, est un médecin suisse né en 1728 à Grancy et mort en 1797 à Lausanne. Il a eu une notoriété extraordinaire dans toute l’Europe et l’on dit de lui qu’il fut « le médecin des princes et le prince des médecins » avec entre autres des soins apportés au roi de Pologne et au prince-électeur de Hanovre.
Sa célébrité et sa réputation européenne ne commencent vraiment qu’avec ses ouvrages consacrés aux méfaits de l’onanisme.
Le nom de l’onanisme désigne l’« ensemble des pratiques, notamment des pratiques autoérotiques, utilisées pour parvenir à l’orgasme en dehors du coït normal ». Son étymologie vient de Onan, nom d’un personnage biblique qui, contraint par la loi du lévirat d’épouser la veuve de son frère, refusa une postérité qui ne serait pas la sienne en « laissant perdre à terre » (Gen., 38, 6-10).
Son ouvrage, L’onanisme, dissertation sur les maladies produites par la masturbation, est ainsi une pièce d’intérêt majeur pour un médecin au parcours hors normes.
Samuel Auguste Tissot y prône une médecine fondée sur un régime de vie en accord avec la nature, et sur des remèdes à base de plantes. Il révèle la hantise des miasmes, met en avant l’importance des facteurs psychologiques dans l’évolution des maladies et introduit les statistiques fondées sur le calcul mathématique pour étudier la mortalité.
Tissot propose également des remèdes anaphrodisiaques, visant donc à diminuer ou à supprimer les désirs sexuels : le camphre, le lait au beurre et le vin dilué dans l’eau. Il suggère également d’aller au lit uniquement pour dormir, de ne pas y rester trop longtemps quand on se réveille et de faire de l’exercice. Il sera vice-président du Collège des médecins à Lausanne où il sera chargé d’organiser les examens des médecins et des chirurgiens et de rechercher les moyens d’améliorer les études de médecine.
Le docteur Tissot voulut faire de la médecine une démarche strictement scientifique, mais toutefois, sa lutte « acharnée » contre la masturbation ne se fonde pas sur des observations rigoureuses. Il fonde sa démarche sur des anecdotes et sur l’extrapolation de déductions métaphoriques d’un concept plus large d’équilibre du corps. Selon ce concept, la masturbation conduirait à une mort rapide et inévitable causée par le déséquilibre résultant d’une perte séminale plus importante que les apports en énergie. Le corps est ainsi pareil à une machine, faisant écho à l’« animal-machine » de René Descartes au XVIIe siècle. Cette conception selon laquelle les animaux seraient des assemblages de pièces et rouages sans conscience ni pensées est une vision mécaniste du réel.
« La trop grande perte de semence produit la lassitude, la débilité, l’immobilité, des convulsions, la maigreur, le dessèchement, des douleurs dans les membranes du cerveau ; émousse le sens, et surtout la vue ; donne lieu à la consomption dorsale, à l’indolence et à diverses maladies qui ont de la liaison avec celles-là. »
Si de telles affirmations peuvent prêter à sourire, il ne faut pas ignorer l’impact ahurissant qu’elles eurent sur les contemporains de Tissot et sur l’ensemble du XIXe siècle. Pensez aux soixante-trois éditions de cet ouvrage entre 1760 et 1905 !
Ce n’est que très récemment que les Kinsey Reports (Sexual Behavior in the Human Male en 1948 et Sexual Behavior in the Human Female en 1953) du docteur Alfred Kinsey ont apporté une assise scientifique à l’étude de la sexualité humaine dont ils marquent le début. Concernant la masturbation, Kinsey la décrit comme une des pratiques les plus communes car presque tous les hommes et 62 % des femmes y auraient recours selon lui. De plus, si c’est très vrai à l’adolescence, cela le serait un peu moins après le mariage. Kinsey insiste amplement sur l’absence de séquelles physiques ou psychologiques chez toutes les personnes rencontrées, y compris celles qui passent à l’action plusieurs fois par jour ! Son livre a servi à calmer de nombreuses craintes comme celles liant la masturbation à l’apparition de boutons sur le visage ou au cancer des testicules… Il a permis de relativiser le discours de Samuel Auguste Tissot et ainsi de tenter de mettre fin à la diabolisation d’une activité somme toute ordinaire.
Martin Desseilles