Carrés de couleur

Les remarqués : [album de caricatures]

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Préparé par l’éditeur liégeois Desoër, cet album du peintre et dessinateur Jacques Ochs (1883-1971) peut s’envisager à l’aune d’une veine que Walter Benjamin qualifiera de « panoramique » : développée à Paris à la fin du XVIIIe siècle, elle mettait à l’honneur le petit monde de la capitale par le biais de tableaux de mœurs, portraits satiriques et autres recueils pittoresques (Les Français peints par eux-mêmes, Le Livre des Cent-et-un, le Muséum parisien…).

Contrairement aux volumes de Charles Monselet qui, sous le Second Empire, se plaisait à figurer Les Oubliés et les dédaignés, Ochs dresse ici le portrait des Remarqués qui animent la Wallonie et, en particulier, la ville de Liège : autrement dit, ce sont cinquante-six « notables » (des hommes uniquement) qui sont ici croqués d’un trait fin rappelant quelquefois celui de Félix Vallotton ou de Jean-Louis Forain.

S’y côtoient politiciens libéraux (É. Digneffe, G. Kleyer, X. Neujean), représentants du parti ouvrier (C. Demblon, J. Seeliger) ou militants du mouvement wallon (J. Delaite), gouverneurs (L. Péty de Sozée, H. Delvaux), écrivains (A. Mockel), musiciens (O. Musin, C. Thomson, E. Ysaye), peintres (E. Berchmans, A. Donnay, R. Heintz, F. Maréchal, A. Rassenfosse), industriels (G. Saint-Paul de Sinçay), juristes (A. Capitaine, F. Thiry) et autres « épéistes » amis d’un artiste lui-même féru d’escrime (H. Anspach, F. Thirifays).

Grâce à un dessin d’Anspach, Jacques Ochs intègre lui aussi ce petit panthéon mondain. Au-delà de quelques portraits plus caustiques (celui du docteur A. von Winiwarter figuré en boucher, scie à la main et tablier maculé de sang), l’album favorise les effets de reconnaissance et de cooptation : le journaliste Isi Collin ne s’y trompe pas quand il note dans sa préface qu’« il ne s’agit pas de jeu de massacre » ; la caricature joue ici pleinement sa fonction consécratoire.


Denis Saint-Amand

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