Carrés de couleur

Histoire des plantes, en laquelle est contenue l'histoire entière des herbes, c'est à dire, leurs espèces, forme, noms, tempéraments, vertus & opérations: non seulement de celles qui croissent en ce pays, mais aussi des autres étrangères qui viennent en usage de médecine

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La constitution de dictionnaires de matière médicale et d’herbiers s’est développée en Europe à partir de la Renaissance et a coïncidé avec les grandes explorations maritimes du monde et le développement de l’imprimerie. L’engouement pour le savoir scientifique se doubla d’une passion pour la botanique et toucha d’abord les médecins et les apothicaires ainsi que les aristocrates amateurs de plantes exotiques en provenance d’Asie et d’Amérique.

On ne peut que se réjouir en découvrant cet exemplaire très rare du Cruydt-boeck rédigé en flamand (bas allemand) par Rembert Dodoens, médecin malinois devenu ensuite médecin de cour de l’empereur d’Autriche et finalement professeur de médecine à l’université de Leyde. Cet ouvrage fut publié pour la première fois à Anvers en 1554.

Il faut toutefois souligner qu’il s’agit d’une nouvelle édition, la traduction française, publiée en 1557, est réalisée par Charles de l’Escluse (Carolus Clusius en latin), ami de l’auteur qui le remercie chaleureusement dans la préface en latin. Charles de l’Escluse avait également étudié la médecine et la botanique à Montpellier. Devenu médecin de cour et responsable du jardin impérial de Maximilien II, il voyagea dans toute l’Europe avant de devenir professeur de botanique à l’université de Leyde où il créa un jardin botanique. L’édition de 1557 est un peu plus importante que l’édition flamande de 1554. En effet, elle contient 544 chapitres au lieu de 523, décrit davantage d’espèces (1033 au lieu de 980) et comporte 800 figures au lieu de 715. De surcroît, il a complété cette édition par un Petit recueil de 35 pages.

L’histoire des plantes de Dodoens est en grande partie inspirée de l’herbier du médecin allemand Leonhart Fuchs paru à Bâle en 1542 et traduit en néerlandais dès 1543, mais il s’en distingue par l’ajout de plantes de la flore des Pays-Bas signalées ici pour la première fois. Cet ouvrage est très complet et pratique car on y trouve non seulement une « Table alphabétique des propriétés et vertus des Plantes contenues dans cet Herbier » mais également plusieurs index alphabétiques : noms grecs, noms latins, appellations et nomenclatures utilisées dans les officines pharmaceutiques, chez les Arabes et dans les herbiers contemporains, noms français, appellations et noms brabançons et néerlandais, et enfin le registre des noms en allemand des plantes. De nombreuses plantes médicinales y sont décrites : des plantes toxiques (if, colchique…), des plantes toujours utilisées en phytothérapie avec des indications similaires à celles de notre époque ou très différentes. On y trouve aussi de nombreuses plantes alimentaires (persil, cresson, roquette, asperges…) et des épices (p.ex. poivre).

L’ouvrage se singularise également par la description de quelques plantes américaines placées à cette époque parmi les espèces inconnues et potentiellement dangereuses. C’était justifié pour la pomme du Pérou ou pomme « espineuse » qui s’est avérée être la stramoine (datura stramonium), riche en substances toxiques (atropine, scopolamine) mais pas pour les « pommes d’amour » qui ont été finalement connues sous le nom de tomates (solanum lycopersicum). Toutefois des plantes comme l’ananas, le cacaoyer, la pomme de terre ou le tabac ne sont pas encore décrites dans cette édition de 1557.

Les monographies végétales se présentent uniformément de la façon suivante : Les Espèces, La Forme, Le Lieu, Le Temps (époque de floraison, de récolte…), Les Noms et Synonymes, Le Tempérament et Les Vertus (Théorie des Humeurs), Les Opérations (mode d’utilisation), et le cas échéant, Les Nuisances, voire La Correction pour atténuer certaines toxicités ou effets indésirables (anis et gingembre ajoutés au séné).

Quant aux illustrations des planches imprimées, elles proviennent de gravures sur bois tantôt empruntées à l’ouvrage de Fuchs, tantôt originales quand elles représentent de nouvelles espèces végétales. Ces gravures sont beaucoup plus précises que les dessins médiévaux déformés issus de la tradition copiste qui s’était écartée d’une représentation naturaliste. Le lecteur admirera également le très beau titre-frontispice où figurent Apollon, Esculape, Artémis, Lysimaque et Mithridate au jardin des Hespérides !

À la fin de l’ouvrage, le recueil ajouté par Charles de l’Escluse est fort appréciable pour l’histoire de la pharmacie. Il y décrit une cinquantaine de produits végétaux exotiques (cannelle, camphre, cardamone, clou de girofle…) se trouvant au XVIe siècle dans le commerce « on se sert és Boutiques » aux Pays-Bas espagnols (Hollande, Belgique, Nord de la France). Il est intéressant de voir que le gingembre tellement utilisé à l’heure actuelle pour améliorer la digestion y est déjà cité avec les mêmes indications. L’auteur attire aussi l’attention sur des substitutions à éviter conduisant à des succédanés inefficaces voire toxiques (par exemple racines de curcuma parfois remplacées par celles de chélidoine, toutes deux étant jaunes !).

Il faudra attendre deux siècles avant que les plantes ne soient décrites avec la dénomination binomiale internationale proposée par Linné en 1758. Les personnes intéressées trouveront ces renseignements dans le fac-similé de cet ouvrage édité en 1978 par le Centre National d’Histoire des Sciences – Bibliothèque royale Albert Ier à Bruxelles et réalisé par J.E. Opsomer qui a ajouté un index de concordance des noms de plantes citées en 1557 avec la terminologie scientifique moderne.


Monique Tits et Luc Angenot

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